Page 21 - Lux in Nocte 14
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Les commandes le ramenèrent en 1958 à l’Opéra de Paris pour une conception analogue, au vu de la
              représentation de la  symphonie  chorégraphique  de  Maurice  Ravel,  Daphnis  et  Chloé.

                                                        C’est  en 1962 que lui sera commandée une des œuvres
                                                        les  plus  mémorables  de  sa  carrière,  une  sorte
                                                        d’aboutissement de son cheminement créatif vers un art
                                                        total, son panthéon personnel de la musique :
                                                        le plafond  de l’Opéra Garnier

                                                        Dessin pour des costumes de gitans du ballet d’Aleko
                                                        (scène IV), 1942, gouache, aquarelle et crayon sur papier, 30,5 x
                                                        52,7 cm, Museum of Modern Art, New York.



              Une décision controversée

              La genèse de cette œuvre est à chercher lors d’une soirée de gala qui s’est tenue à l’Opéra Garnier, le
              17 février 1960. Y furent présents le général de Gaulle ainsi que le Ministre des Affaires Culturelles,
              André Malraux, qui accueillirent une délégation officielle péruvienne et assistèrent à Daphnis et Chloé,
              ballet de Maurice Ravel dont Marc Chagall, rappelons-nous, avait réalisé les décors et les costumes.

                                                       André Malraux, assez peu intéressé par le spectacle, leva
                                                       selon la légende les yeux vers le plafond décoré par le
                                                       peintre favori de Napoléon III, Jules-Eugène Lenepveu,
                                                       orné de soixante-trois figures représentant Les muses et les
                                                       heures du jour et de la nuit sur vingt-quatre panneaux de
                                                       cuivre. Il vint à l’esprit de l’écrivain et homme politique
                                                       un  sentiment  d’ennui,  une  exaltation  essoufflée,
                                                       provoqués par cette œuvre trop académique, manquant
                                                       d’insuffler à cette institution un peu de modernité.



                                                       Plafond de Jules-Eugène Lenepveu
                                                       Les muses et les heures du jour et de la nuit, 1872


              Dès lors, André Malraux, suivant des idées novatrices, imagina un plafond tout à fait grandiose et
              avant-gardiste tel un vent nouveau soufflant sur l’architecture de Charles Garnier. A quel autre artiste
              aurait-il pu penser hormis son ami Marc Chagall, peintre qu’il admirait tant ? C’est ainsi que le ministre
              fit part à Chagall pendant l’entracte, de son souhait de le voir réaliser un nouveau plafond pour la salle
              de l’Opéra Garnier.

              Avant d’accepter  cette  commande  d’une  telle  envergure,  Chagall  prit  le  temps  de  créer  plusieurs
              maquettes, des ébauches préparatoires aux pastels, à l’encre de Chine et aux crayons de couleur sur
              papier. Il finit par répondre favorablement à cette proposition qu’il honora de façon bénévole, à la
              fois par amitié pour André Malraux qu’il côtoyait depuis trente ans, et pour rendre hommage aux
              grands compositeurs qui firent vibrer la scène de l’Opéra Garnier. Cet accord passé entre les deux
              hommes fut rendu officiel le 22 juillet 1962. C’est cependant sans surprise qu’un tonnerre de critiques
              condamna  immédiatement  le  projet  d’une  « modernité  artificielle »  déséquilibrant  un  ensemble
              architectural  et  décoratif  par  le  caractère  anachronique  du  remaniement  du  plafond  originel
              parfaitement intégré, qui ne distrayait pas le spectateur de la scène. Les détracteurs avaient beau crier






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