Page 20 - E-Book L'Ouï-Lire
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Bien sûr, j’en ai souffert à l’école. Mais je me défendais du mieux que je pouvais et j’avais toujours un groupe de copines à moi, toutes aussi affligées de tares différentes : noms pitoyables et ridiculisants, visages laids, grosses, boutonneuses. On s’appelait fièrement Les Bactéries. Ensemble nous formions un bloc, défiant les autres camarades qui se mettaient hors de notre portée, bien à notre distance, croyant que nous étions contagieuses.
On en profitait. Les filles se vengeaient des affronts qu’elles subissaient, et moi je rayonnais. A l’intérieur de ce groupe je me sentais une rose plutôt qu’une Salmonelle. Rose plutôt que Salmonella.
Mes copines m’appelaient Rose, je devais effectivement être une rose pour elles comme je l’étais pour moi. Ce qu’elles ne comprenaient pas c’est que j’assumais pleinement mon prénom et que j’avais formé ce groupe, Les Bactéries, pour leur rendre service et leur permettre de s’épanouir avec ce qu’elles sont.
Je les ai laissées m’appeler Rose, puisque ça leur faisait tellement plaisir. Rose. Pourquoi pas, m’étais-je dit. Comme si j’étais un personnage héroïque. Ca me plaisait, ça.
Les autres, à l’école, ils avaient toujours du mal, au début de l’année, à m’appeler Salmonella. Les profs, les élèves, la Direction. Au bout d’un moment, et à force de se forcer à le dire, ils se sont habitués à prononcer mon prénom de façon banale.
Mais les Autres, par contre, eux, les méchants, les beaux, les belles, les plus forts, les soi- disant plus intelligents, il y en a qui m’en ont fait baver. Refus de se mettre à côté de moi en classe, de me faire passer le ballon en EPS, de partager ma table à la cantine puis de faire de plus en plus fort en déversant toutes sortes de saletés organiques dans mon cartable, dans mes cheveux, histoire de voir ce que ça ferait, sur une bactérie comme moi. Au collège il y a eu un groupe qui s’est même amusé à faire des affiches A3 informant d’un danger virus bactériologique au sein de l’école et qui donnait la description de ma petite personne. Les cons. Les pions ont mis du temps pour comprendre qu’il s’agissait de moi, la bactérie.
« Ahhh, Salmonella : Salmonelle : le virus bactérien ! Comment n’y avais je pas pensé ! Bah c’est pas grave, on va retirer les affiches personne n’y pensera plus, c’est rien. »
C’est rien, tu parles.
Tous les jours à appréhender l’entrée du hall de l’école, espérant ne pas croiser ces saligauds qui m’attendaient et qui, me voyant apparaître se mettaient à hurler en courant dans le couloir : « La voila ! La sale Bactérie, la Salmonelllaaaaaaahhh ! »
Bonjour l’accueil, tous les matins presque.
Au bout d’un moment j’en ai eu assez et j’ai pris le dessus. Aussitôt franchie la porte de l’école, je me suis mise traverser le couloir en trombe vers ma salle de classe en criant :
« Me Voilà ! Me voila ! Salmonella Roooooose ! Viens ici si tu l’ooooooses ! »
Personne n’a osé. Ils m’ont juste tenue à distance. J’avais enfin la paix et retrouvé le plaisir d’aller à l’école tous les matins. Pour rien que ça.
Au lycée, les moqueries étaient bon enfant. J’avais droit à un surnom différent chaque lundi. C’était à celui qui trouverait le meilleur surnom. Sale môme est là. Sale môme, va. Saumon t’es là ? Y en avait des tout gentils comme des tout méchants.
En Terminale les surnoms étaient épuisés, ils n’avaient plus d’idées, ils ont donc décidé de rajouter mon nom, Rose. Et depuis, avec Salmonella Rose, ma vie a pris toute une autre dimension ...
Chapitre deux :
Au Lycée, donc, en Terminale, les concours ont repris de plus belle pour qui me trouverait le top-surnom. Salmonella Rose. Sale monnaie l’arrose, Pâle môme et la Rose ... Tous les lundis, ou presque, le grand jeu hebdomadaire avait lieu dès la première récréation et réunissait tous les élèves de la classe, enfin, ceux qui étaient intéressés. Les absents, malades ou faux malades participaient quand même en envoyant leur trouvaille par SMS au délégué de classe qui faisait aussi office de délégué du jury. Chacun y apportait donc sa proposition du jour et l’on votait à main levée le surnom choisi.


















































































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