Page 102 - Le grimoire de Catherine
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UN JOUR LE ROSSIGNOL CHANTERA
La nouvelle s’étale en une du journal…Drôles de jardiniers, dans le potager
partagé ! C’est moi qui ai écrit cet article, sur la feuille de choux sur laquelle je suis
chargé des faits divers pour lecteurs en recherche d’insolite.
Beaucoup de ceux-ci se sont manifestés, dubitatifs, et pourtant je n’ai rien inventé. Ca
s’est passé comme cela !
Ce jour-là, je galérai, guettant l’inhabituel, le déroutant, l’étrange. Je pédalais sur une
petite route chaotique, grimpé sur ma vieille bicyclette quelque peu grinçante quand
brutalement … Je vais vous raconter tout ce que j’ai vu, entendu et même senti.
Je m’approchai dudit potager partagé, enserré par un grillage rouillé, affaissé sur lui -
même. Ce lieu ainsi renommé et classé « zone protégée » avait échappé à la
gourmandise d’un promoteur immobilier. En vérité il s’agissait d’une friche industrielle,
receleuse de trésors oubliés.
J’entendis alors chuchoter, rire, des pas se rapprochaient. Je quittai mon vélo, allai
me cacher derrière le buisson de mures et vis arrivé un cortège pour le moins inattendu.
Arlequin et Polichinelle échappés de la commedia dell arte qui se taquinaient tandis que
Mary Poppins secouait son parapluie garni de gouttes magiques.
Je crus apercevoir le chapeau de l’oiseleur que Mozart avait si bien façonné. Tous
allaient jardiner, mais pelles, râteaux et seaux avaient été remplacés par un attirail né
de leur imagination.
Je cherchai en toute hâte mes jumelles afin de mieux comprendre ce qui pouvait ainsi
attirer de si étranges personnages. Je distinguai ainsi ce que j’imaginais être leur
terrain de jeu. Les herbes avaient, bien entendu, poussé dans tous les sens, les ronces
se disputaient avec les chardons, le vieux marronnier avait renoncé à offrir ses fruits et
en était mort de chagrin.
De grandes statues étaient étendues au sol, tel des dieux fracassés par la foudre. A y
regarder de plus près je pouvais voir qu’il s’agissait en fait de tuyaux rongés par la
rouille. A côté, des tonneaux laissaient perler des larmes de cuivre et tout au fond, une
ancienne cheminée servait de nichoir à quelques oiseaux trop faibles pour entreprendre
l’aventure de la migration.
Un amas de pancartes se trouvaient gisant en vrac près du hangar, j’y distinguai des
inscriptions ! J’ajustai mes lunettes et pus lire les mots suivants : jardin de l’ouïe, jardin
de l’odorat, jardin du goût, jardin du toucher, jardin de la vue. Nous étions face au
jardin des cinq sens !
A peine nos explorateurs eurent- ils poser pied qu’ils bousculèrent le grand silence qui
avait pris ses aises depuis si longtemps. Celui-ci explosa laissant libre cours aux
milliers de murmures ainsi retenus prisonniers .Cette terre avait tant vibré autrefois du
bruit des courroies, du cliquetis des machines et de l‘appel de la sirène qui rythmait le
travail, la vie. L’oiseleur en sauta de joie, fit danser autour de lui les petites
clochettes magiques qui ornaient son chapeau. Les oiseaux endormis, passèrent
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