Page 98 - Le grimoire de Catherine
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PRISE DE BECS
En ce village, il fallait les entendre se chamailler, s’invectiver chaque jour, nos deux
compères, Chantedoux et Chantehaut, magnifiques représentants de la race volaillère.
Chantedoux portait fièrement les attributs dévolus à tout chef qui aspire au respect de
tous. La crête en « i », le mollet bandé comme un arc, il garantissait la sécurité et
l’ordre à toute une nichée de fragiles poulettes entourées de rejetons duveteux. Son
estomac rebondi indiquait son tropisme pour les plaisirs servis à la table du meunier.
Chantehaut trônait sur les hauteurs du village, bien agrippé au sommet du clocher.
Fier de sa position de dominant, il captait les rayons du soleil pour briller tel un
conquérant paré d’une armure étincelante. Il se disait chargé d’indiquer les caprices du
temps, peut-être servait-il accessoirement de paratonnerre mais personne n’avait cru
bon de l’en informer !
Ce matin-là, notre coq de la basse-cour était en verve et cherchait un beau sujet pour
guerroyer.
- Hello, maitre dominateur, toi qui ne vis que de l’air du temps, connais-tu les plaisirs
des nourritures terrestres? Sais-tu la saveur du grain de maïs, celle du tournesol
craquant sous le bec ?
- Turlututu ! Délectation de bas étage, Moi je peux prétendre à d’autres joies. Ma
position au sommet me permet de côtoyer les anges, d’ailleurs mon nid est garni de
leurs plumes mais bien entendu tu ne peux pas le voir de ton poulailler, vieil
emplumé ! Mes nourritures sont célestes ! Un jour, peut-être je serai célèbre comme
mon cousin le superbe Phénix de la Fenice à Venise
Chantedoux s’agaçait et grattait le gravier de la cour, bien que vexé, il n’allait pas
reculer. Chantehaut lui tournait maintenant le dos, certain d’avoir gagné le combat en
humiliant son adverse.
Notre gallinacé gourmand était un fin matois, il pensa que pour sortir vainqueur il lui
fallait changer d’échiquier .Il se rappela avoir entendu la fermière citer Pierre
Reverdy « un poète ne vit guère que de sensations, aspire aux idées et, en fin de
compte, n’exprime que des sentiments » Il allait voir ce prétentieux.
ll décida de l’entraîner sur un territoire peu habituel pour un coq de clocher, celui de la
poésie et donc des sentiments.
En avant pour la comédie !
- Psitt ! Mon auguste voisin. Dites –moi, êtes- vous sûr d’être utile à autrui ?
- Evidemment, cervelle d’oiseau ! Comment trouver la maison du bon dieu sans moi ?
De plus je distrais les écoliers qui s’ennuient en classe en leur montrant comment je
peux faire la girouette.
Pas mal, réfléchit Chantedoux, je ne vais pas me laisser écraser par ce fourbe, je suis
convaincu qu’il veut embuer mon œil perçant. Il y a bien longtemps que les enfants ne
s’amusent plus de ses pitreries.
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