Page 94 - Le grimoire de Catherine
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NINIE


              Elle n’était pas  très  jolie  Eugénie et devint vite la petit Ninive. Deuxième  des cinq
              enfants nés dans un village de Picardie qui ne  tardera pas à être détruit  sous les  feux
              de la première guerre mondiale.

              Elle n’était pas très jolie   mais comme elle  aimait rire de  tout   avec  tous. Avec deux
              de ses sœurs, Amici la superbe, la militante et Jeanne la petite dernière au cœur de
              coquelicot, elle  formait  un trio  qui résista à toutes les vicissitudes de la vie.

              Elle  n’était  pas  très  jolie    mais  sa  générosité  et  son  amour  de  la  vie  avaient  séduit
              Alfred, son  filleul de guerre. Ils se marièrent. Après  deux évacuations et leur village en
              ruine, ils  quittèrent  la Somme pour un  lieu  plus paisible.

              Là on y fabriquait des  boutons à partir  de la nacre, cette production  avait  remplacé
              celle des  éventails et des dominos. Ils  y firent  construire un grand atelier et se mirent
              tous  deux  au travail.

              Il fallait les voir tous deux, lui en bleu de travail, casquette en tête, elle en blouse, fichu
              noué sur sa  chevelure brune, recouverts  d’une fine pellicule  de poudre de coquillage !
              Les « gens de Paris »  venaient leur  acheter leur  production. La ville rencontrait alors
              la campagne et cela  n’allait pas toujours sans  anicroche. Ainsi un jour, alors que les
              adultes « étaient  en affaire », on avait laissé les enfants s’amuser ensemble.

              La  parisienne,  au  prénom,  inconnu  dans  le  village,  Edith,  alors    que  là-bas  tout  le
              monde  s’appelait  Martine  ou  Françoise  voulait  marquer  sa    supériorité.  Elle    choisit
              donc  pour ce faire, l’enfant qui se trouvait là  dans le jardin. Elle  lui annonça qu’elle
              allait la planter dans le jardinet de la cour.
              Des  hurlements  s’en  suivirent,  des  larmes,  Ninie  accourut  mais  le  mal  était  fait,  ce
              parterre était devenu le lieu à jamais « où Edith a voulu me pianter !!!! » Le rire  d’Edith
              s’était  écrasé, laissant une tache indélébile,  sur le mur de l’enfance.

              Alfred la laissa  veuve un matin de février  glacial, il avait trop respiré de gaz moutarde
              dans les tranchées.
              Ninie  quitta l’atelier et se mit à coudre  boutons  sur  des  cartons  comme beaucoup de
              femmes  du  village.  Elle  rejoignit  ainsi  le  camp  des  encarteuses.  Elle  n’était  pas  très
              experte pour ce travail mais  fallait  bien  survivre.

              Elle préférait  s’occuper de son potager. Là elle y faisait des miracles. Tout y poussait,
              pommes de terre, haricots  verts, carottes. Chaque plan était séparé pour des touffes
              de persil. Elle  en mangeait mais  en donnait  beaucoup autour d’elle. Une laitue  était
              souvent  échangée par-dessus  la haie  contre quelques  œufs.

              Parlons    des  œufs.    Elle    n’en  avait  plus  depuis    longtemps  car    son  coq  était  mort
              depuis    bien    longtemps  et  ses  poules    finissaient    leurs    jours    sans  craindre    son
              couteau.  Elle  n’avait pas  gros appétit et  se régalait souvent d’un oignon  bien arrosé
              de  vin  rouge, son péché  mignon.





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