Page 96 - Le grimoire de Catherine
P. 96

PEUR SUR LE POTAGER


              Si  j’étais  courageuse  et  curieuse,  je  suivrais  les  conseils  du  chat  noir  rencontré
              aujourd’hui,  je    m’introduirais  secrètement  dans  « le  jardin  des  mille  peurs ».  Là-bas
              m’a-t-il  confié  les  légumes  végètent,  se  recroquevillent  sur  leurs  petites  tiges  et
              frémissent à tout  moment.
              Eux, qui étaient  auparavant si cajolés, sont oubliés, laissés en pâture au tout venant et
              croyez-moi  le  passage  y  est  dense !  Tout  ce  qui  y  poussait    est  maintenant    dans
              l’attente d’un sauveur ; même le liseron qui enlaçait voluptueusement le laurier rose en
              est mort de chagrin.

              Tout ce qui chantait s’est tu. Le vent ne chahute plus les feuilles des arbres, eux-aussi
              chagrinés par cet abandon, quant aux oiseaux, ils ont déserté.
              Je ressens cette panique face à cet état de déshérence. Tout est tremblement, fragilité,
              les grandes  ailes de la  peur pèsent sur ce jardin. Que s’est-il passé ? Je me faufile
              sous  le  massif  de  roses,  devenu    berceau  de  ronces,  et  là,  surprise,  je  ne  suis  pas
              seule.

              Un  superbe  renard  m’observe,  un  de  ceux  que  l’on  rencontre  uniquement  dans  les
              contes de fées ou dans les fables de Monsieur de La Fontaine. J’allais en savoir plus
              sur la situation car il est de notoriété  publique qu’il connait tout ce qui est important
              dans la nature.
              Cela n’allait pas être facile. Il sait, d’expérience, ce que les hommes sont capables de
              faire aux animaux. Il connait leur désir de régner sur tout, de détruire l’équilibre naturel
              sans  vergogne. Pas question de jouer au plus  malin avec lui.


              Même les yeux fermés, je savais avoir là un informateur de qualité. Le mystère de cette
              désolation  allait  m’être  révélé  par  notre  animal  aux  grandes  oreilles si  fier  de  sa
              connaissance des lieux.

              « -  Ce  potager  a  toujours  eu  deux  gardiens,  je  les  ai  beaucoup  observés  car  ils  me
              gênaient pendant  mes maraudes, de jour et de nuit, mais tout a bien changé. Figurez-
              vous  que  son    jardinier  est  tombé  amoureux  de  la  grand-mère  du  Petit  Chaperon
              Rouge.

              - Qu’a-t-elle de particulier ?

              - Une robe à pois ! Il ne peut y résister .Jardiner ne l’intéresse plus. Il devrait pourtant
              pouvoir  s’en  détourner,  ces  fameux  pois  sont  rouge,  la  couleur  préférée  de  l’aïeule
              comme l’a précisé Monsieur Charles Perrault. Il l’imagine dans ses rêves, habillée de
              vert. Notre soupirant n’a plus que cela en tête et délaisse son rôle de protecteur.

              - L’amour n’obéit à aucune logique ! Et le deuxième gardien ?

              - Celui –là est moins redoutable. Il s’agit du loup. En effet les légumes, désemparés, se
              sont  adressés  à  lui  pour  la  garde  de  nuit.  Après  quelques  essais,  il  s’est  ennuyé.
              Protéger des légumes n’est pas digne de lui, il préfère courir le lapin »



                                                           92
   91   92   93   94   95   96   97   98   99   100   101