Page 93 - Le grimoire de Catherine
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jardiniers.
            « Qu’on leur tranche la tête !!!

            -Un peu de mansuétude, Majesté », j’imagine que, sans  ces points  d’exclamation, la
            sentence aurait peut-être été moins féroce. La reine de la nuit  de la Flûte Enchantée ne
            s’en prive pas  non plus, écoutez plutôt !

             « Mort et désespoir flamboient  autour de moi !!! »
            Tout cela est bien spectaculaire !  Notre monde est  un vaste théâtre où nous   jouons
            chacun  un acte dans une pièce  à la fin tragique. Baissons  nos masques, arrêtons-
            nous  de déclamer. Il serait temps de  quitter les apparences et d’être  vrai.

            Hum !   Si je quitte maintenant la scène, mes cheveux   vont  redevenir  tout  gris et
            clairsemés  et    une    de  mes  dents    va    choir,  si,  si,    j’en  suis  sûre !  Je  ne  vais  plus
            pouvoir poursuivre  le lapin d’Alice et risquerais  de réveiller  le dieu somnolent. Qui me
            dit  que  je  ne  vais  pas  déclencher  ainsi  une  tempête,  peut-être    pas  proche  de  chez
            vous mais  plutôt dans ma tête.
            Pourquoi  pas…  essayons  de  remplacer  les  discours  emphatiques,  tout    en  points
            d’exclamation  par l’art de la conversation. Je vais pouvoir  y côtoyer maintenant le point
            de suspension. Ainsi

            Je n’engagerai pas de duel, et éviterai l’épuisement mutuel .Plus de perdant, plus de
            gagnant, je vais m’engager  dans l’échange.  Je ne prends pas de risques et ne peux
            être déçue puisque je ne connais pas  la vérité.  Je peux entrer dans ce jeu. Ah,  je vais
            leur concocter un vilain tour à toutes  ces angoisses qui m’assaillent !

            En conversant, je vais détruire  leurs  nids. Je vais  pouvoir  voyager  à califourchon sur
            les mots des autres et engager ainsi  un voyage vers de nouveaux territoires.
            Je vais prendre le temps de choisir mes mots, de les entourer d’un bel emballage. C’est
            la  moindre  des  courtoisies    pour  mon  prochain  interlocuteur.  Je  laisse  les  mots-
            poignards aux « aigreux » aigris, je privilégie les mots-caresses.

            Lewis  Carroll  creuse  un  autre  terrier  pour  engloutir  un  nouveau  rêve...
            Mozart  écrit  pour  les  oiseaux  de  paradis,  les  autres  s’enivrent  dans    des  arpèges…
            Neptune se prépare        pour une rencontre  avec Ulysse, il faut reconnaître qu’ils  ont
            tous deux  de  sacrées histoires  à s’échanger.
             Décidément  je l’aime ce point de suspension rempli de sous-entendus, de complicité,
            d’attentes  multiples. Il permet l’hésitation, la respiration qui repousse au loin  le monde
            de  certitudes  si    mortifères.  Avec  lui,    bondissent,  idées    nouvelles,    sensations
            fraichement écloses.

            Au vide se substitue   la vie,  le plein. Tout  peut à nouveau recommencer  chaque jour,
            tout peut être réinventé, il suffit d’avoir un bon grimoire.
            Comme  le  disait  le  poète :  « les  miroirs  feraient  bien  de  réfléchir  un  peu  avant    de
            renvoyer les images ». Ai-je maintenant les  cheveux  gris ou bleus ?

            Quelques petites fleurs viennent de percer le béton, et pourquoi  pas… Décidément je
            préfère  les points de suspension, ces petits  navires chargés d’étoiles pour chacun de
            nous. Embarquement  possible à partir  du port de la lune…

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