Page 95 - Le grimoire de Catherine
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Il y avait aussi, pour parfaire le tout, des fleurs de toutes les couleurs, de tous les
parfums. Les œillets côtoyaient les glaïeuls, les marguerites, les pivoines. Tout visiteur
repartait de chez elle avec un de ses bouquets comme nul fleuriste n’a jamais
réalisé. Il fallait un brin de folie pour oser mélanger toutes ses essences et dans ce
domaine, elle y excellait.
Si on savait regarder de près, des petits trésors étaient cachés dans les murets de
ce jardin. Pour les découvrir, il fallait des yeux d’enfant. De temps en temps,
émergeaient du béton, des vertiges de son ancienne activité, des coquillages. Des
petits doigts essayaient d’en chaparder et Ninie faisait alors semblant de se fâcher !
Quel plaisir pour les enfants d’aller lui rendre visite ! Il fallait tout d’abord dépasser la
peur d’aller « aux commodités » au fond du jardin et de tomber dans un trou qui
paraissait aussi profond que celui du terrier dans lequel bascula Alice avant de se
retrouver au pays des merveilles.
Il existait un aménagement plus adapté dans sa petite maison mais pas de chance, il
était occupé par ses plantes. Les priorités des uns ne sont toujours celles des autres.
Elle les aimait trop ces petites pousses pour les laisser frissonner par gros temps.
Elle avait toujours de bonnes idées enfin plutôt celles que n’avaient pas les parents.
Elle pouvait vous faire se glisser sous les clôtures de barbelés pour entrer dans le
champ où paissaient les vaches et le taureau.
Là commençait la récolte des champignons avec le frisson dû à l’obligation d’avoir
toujours à l’œil ce dernier. Au retour, elle disparaissait dans sa grande salle à manger
toujours déserte, ouvrait les portes grinçantes de son buffet Henri II et en revenait avec
un paquet de bonbons fourrés à la noisette. Elle aurait bien eu comme ami, un
écureuil !
Ninie ne faisait rien comme les autres, même sa pâtisserie était différente. Elle adorait
faire le flan aux pruneaux. Alors, sur la table de cette fameuse salle, on y trouvait non
pas un gâteau, ou deux ou trois, impossible de savoir combien elle en avait réalisé.
Tous les habitants de sa rue pouvaient y goûter. Des malicieux disaient que c’était
parce qu’elle ne savait pas compter. Et si cela avait été, tout simplement la preuve de
son grand cœur!
Elle quittait rarement son havre de paix si ce n’était pour se rendre au bureau de
vote. Elle ne manquait aucune élection. Elle se souvenait que les femmes avaient dû
attendre bien longtemps pour exprimer leur choix de société. Voter était une victoire
qu’elle partageait avec sa petite sœur.
Toutes deux faisaient un effort de toilette, se rendaient aux urnes puis se régalaient
devant une côte de porc bien grillée, arrosée d’un ou de deux verres de vin. Elles
rêvaient d’un monde meilleur ou du meilleur des mondes.
Elle n’était pas jolie Ninie. Qui ose encore dire cela ?
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