Page 83 - Le grimoire de Catherine
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L’une d’elle se jeta, à sa recherche, au milieu de cette foule, elle voulait retrouver la
petite fée de la famille, enfin elle l’aperçut et put la prendre dans ses bras, peut-être
que la lueur d’une petite allumette l’avait guidée. Le long cortège de charrois se mit
en route pour le Jura. Là-bas la main d’œuvre manquait. Les hommes valides avaient
été envoyés se battre et il fallait survivre.
Tous ces déracinés se mirent au travail. Jeanne qui n’avait que huit ans se vit
confier un troupeau de vaches à garder dans la montagne. Même vous, Monsieur
Andersen, qui ne reculiez devant aucune audace, vous n’auriez pas osé confier ces
énormes bovins à une petite fille.
Il est vrai que vous aviez situé votre histoire dans les bas- fonds d’une grande ville
aussi votre enfant n’avait pas à courir le risque de rencontrer un grand mammifère
comme un renne par exemple. Devenue grand-mère elle parlait encore avec frayeur,
de sa rencontre traumatisante avec ces énormes naseaux, ces yeux globuleux, ces
meuglements terrifiants.
Je pense malgré tout que ces animaux décrits comme descendants du minotaure ont
bien dus se garder seuls et que Jeanne a toujours maintenu une distance
respectueuse à leurs égards.
Enfin les hommes se calmèrent et la famille put, comme eux, retourner dans sa
région. La guerre avait tout détruit, les enfants décidèrent de partir vivre dans un
autre lieu, moins meurtri. Les plus vieux se marièrent, trouvèrent du travail dans les
usines et hébergèrent les plus jeunes. C’est ainsi que l’on retrouva votre petite
héroïne embauchée dans un village de l’Oise, dans une fabrique de petits boutons de
nacre.
Elle était devenue bien jolie, la flamme de vos allumettes brillait à nouveau dans ses
yeux et bien entendu arriva ce qui devait arriver dans ces cas-là, elle tomba
amoureuse. Amoureuse d’un géant qui parlait fort, riait fort, plaisait fort à ces
compagnes d’atelier. Jeanne se rendit compte un jour qu’elle allait avoir un enfant. Ils
avaient dix sept ans tous les deux, alors ils se marièrent en août et eurent une fille
en octobre.
Le géant savait travailler le bois, alors il s’installa comme menuisier, charpentier, et
Jeanne quitta l’usine pour s’occuper de cette nouvelle famille. Mais dites-moi,
Monsieur Andersen vous n’aviez pas pensé à apprendre à votre protégée à cuisiner.
Il est vrai que les conteurs ne parlent jamais de recettes pour réaliser les repas
quotidiens, ils préfèrent parler de galettes , de pomme empoisonnée, etc … Cela
mettait en rage le géant qui travaillait beaucoup et qui avait toujours faim.
Jeanne avait très peur, devant ses rugissements ses yeux s’embrumaient , elle ne
pleurait ni ne répondait mais partait raconter ses malheurs à ses fleurs, laissant
l’affamé seul avec sa fureur.
Elle l’aimait malgré tout, mais un colosse c’est fragile, vous devenez connaitre
l’expression « un colosse aux pieds d’argile ». C’est ce qui se passa, il mourut,
laissant sa petite femme aux allumettes incapable d’en allumer une seule. Qu’elle
avait froid au cœur ! Comme elle pleurait en silence votre protégée ! Cela dura des
mois et des mois ! Son ciel était sans étoile !
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