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C’était l’histoire saugrenue, aussi sotte que grenue, d’un étranger qui s’appelait Frédéric. Le dit Frédéric séquestré dans un cerveau qui lui jouait de vilains tours, se languissait d’en réchapper a n de jouir, il avait le droit, de ses cinq sens hérités à la naissance. Il avait constaté que certaines substances illicites déformaient les barreaux de son enfermement et produisaient un dédoublement de sa personnalité, où l’être grisé combattait l’être sobre, l’assiégeait en quelque sorte. Comme si Frédéric anéantissait Frédérique. Avec émerveillement s’ouvrait
à lui un univers plus sensible.
Il pleuvait violemment et les craquements célestes pétillaient, les salves
successives de coups de canon retentissaient dans ses entrailles, ampli aient, désorganisaient le rythme régulier, apaisant, de son muscle cardiaque qui était son partenaire vital égoïstement protégé par la cage thoracique d’un corps léger qui se déplaçait dans l’espace avec agilité. Son cœur était la caisse de résonance de l’univers. Il hésitait : doit-on sortir sous la pluie et se réjouir comme les enfants, d’être sous l’arrosoir divin ? Puis chanter et crier de froid ou d’effroi ? Jouir d’une nouvelle sensation primitive, à ajouter à la pâle liste de l’homme civilisé ? Cette peur de vivre qui devenait impossibilité de vivre (ou le contraire), le menaçait fréquemment. Une question surgit à brûle-pourpoint sous le crâne de piaf. Pourquoi ruminer ces histoires très chôms ? C’est pour lutter contre cela qu’il était devenu peintre, pour raconter de belles histoires qui ne déchiraient pas les sens, mais inondait les yeux d’une clarté lumineuse, comme se plonger dans le frisson d’un bain chaudement parfumé.
La mer s’en ait comme un poulpe qui se réveillait. Tentaculaire, d’abord inquiet puis furieux. S’identi er à la tempête l’amusait terriblement. Il mimait le tangage érotique de l’eau en dansant un Ska torride. Les images, le fantastique, l’intéressaient plus que la compréhension scienti que de l’univers. Regarder l’énorme houle qui semblait venir d’Afrique pour claquer contre la Riviera, le transportait délicieusement vers ce lointain continent. Cet inconnu. Ce danger. L’âpre liberté disait Rimbaud. (suite page 17)
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