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Fragment égaré d’un rêve d’été, d’une nuit d’hiver, dans le boudoir feutré de ma mémoire...
Dans le grand salon cristallin de mon enfance, Nina Hagen chante « lucky number » (wir leben immer...noch) en servant le champagne rosé, qui déborde et gazouille à grosses goulées. L’ingénue, remplit l’air de son humour doux amer, sombre, voltige avec les octaves d’une humeur débridée, puissante, drôle. Suivent des siècles bruyants et furieux...
Et alors ? Erik Satie est arrivé, sans se presser, il accompagne le dressage du guéridon empaillé, dans une eurythmie parfaite. Ses notes harmonieuses et limpides (première Gnosienne) éclatent successivement comme de légères bulles de savon, en cortège distendu. Elles hésitent, trébuchent, errent sans but, s’égarent dans un désert minéral, jauni par l’éclairage à la bougie, des ef uves de mimosa euri, peuplent l’atmosphère con née d’un intérieur vide. Sans prévenir, mon cœur esseulé se resserre. C’est vrai, Satie m’a pris par la main dans son univers équanime, puis m’a abandonnée, sans repère, trois minutes cinq secondes plus tard.
Sauvagement désinvolte, surtout venant de sa part ! Murmura-t-elle en éclipsant goulûment, son morceau de loukoum parfumé à la rose, a n de recouvrer tous ses esprits.
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