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Certains jours de fête, mon père visionnait les photos de famille dans son cabinet de consultation. Son bureau était élancé, le bow-window souriait sur un vert normand glauque. L’odeur médicinale de l’éther était
remplacée par l’odeur poussiéreuse de l’écran qu’il fallait dérouler pour recevoir les diapositives projetées. On fermait les rideaux, les portes e anquées claquaient et le tour était joué ! L’obscurité s’installait dans le ronronnement paisible de l’appareil qui ciselait une lumière voltigeante d’étranges bêtes e arouchées. Le pater était rêveur, sa famille se déroulait à ses pieds, il l’ignorait et préférait la contempler, la raconter sur un écran. Finalement très actuel. Époque où l’image fascine puis fatigue autant que la violence qu’elle exhibe.
Sous nos yeux ébahis, dé laient des moments de bonheur. Nous ne savions pas que nous étions si beaux, si vivants. Il va falloir se souvenir toute sa vie qu’un jour nous avons été heureux, ne pas se perdre.
De loin, le plus charmant était ce passage, ce glissement  uide et cliquetant d’une image à l’autre. La notion de temps intervenait dans ce passage, ce glissement... les peintres italiens du mouvement futuriste avaient bien compris l’extraordinaire beauté du mouvoir et donc du temps qui passe. En décomposant les di érents stades d’un mouvement sur un même tableau, les peintres pensaient en donner l’illusion. Le cerveau devait reconstituer en quelque sorte la vie, animer le tableau selon la volonté du peintre ( l’œil suit les chemins qui lui ont été ménagés dans l’œuvre Paul Klee). Ce qui pouvait apparaître comme incomplet dans les traits, était relayés par la pensée. L’acte de peindre est un acte physique, exécuté debout, les Américains le transforment en happening pour un spectacle qui les amuse.
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