Page 51 - promenade3
P. 51

Ma passion dévorante pour tissus en tous genres provenait de mes racines normandes, côté maternel, dans l’industrie textile du lin. Ma mère tâtait, soupesait, respirait les vêtements de la capitale lorsqu’il s’agissait
d’acheter de nouvelles loques pour la rentrée scolaire. Dans les milieux urbains, la façon de s’habiller était codi ée, une façon de se repérer entre soi, de véri er l’appartenance à un type de milieu. Très vite, j’ai décidé que s’habiller était un moyen troublant de s’amuser, de s’exprimer, de montrer, de cacher, de magni er un corps. La mode vestimentaire était mon péché mignon ! Et plus tard la décoration.
J’ai mimé Sarah Bernhardt qui orchestrait sa nudité devant l’objectif de Félix Nadar, en mettant en scène di érent lieux au cours de mes déménagements successifs. La laideur brutale des nouveaux espaces m’inclinait à la déguiser, la transformer dans une tragédie comique des éto es : portes et fenêtres agrémentées, tissus tendu sur molleton mural, moquette laineuse au sol, etc... Je comparais les appellations des matières textiles à de jolies boîtes à musique dont toutes les notes avaient une signi cation. J’écoutais leurs mélodies comme un poème qui me transportait en voyage. Le calicot m’enchantait, lorsque je longeais le port de Calicut sur la côte de Malabar. Le ta etas (du persan Ta â qui signi e « tissé ») m’emmenait en Chine. Le chintz (du hindi « toiles très  nes ») me déportait en Inde, etc....
J’imaginais la beauté, l’étrangeté, le pittoresque, la volupté de la lumière, des senteurs, de la chaleur. Tout ce que l’on désire est de l’autre côté . Cet acharnement, ce besoin irrésistible de tordre la réalité,  irtait
(suite page 53)
51


































































































   49   50   51   52   53