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16 CULTURE
Dimanche 1er Décembre 2019
Civilisation islamique
UNIVERSALITÉ ET DIVERSITÉ
L’évocation de la civilisation arabo-musulmane comme une histoire brillante seulement, sans reconnaître l’apport de différentes cultures
antérieures à la propagation de l’islam dans le monde, relève de la conservation d’un mythe.
e par sa rapide expan- dogmatisme et au conservatisme
sion, dès la seconde de courants musulmans, ils ont
Dmoitié du VIIe siècle, l’is- œuvré à la progression. L’exem-
lam s’impose comme une alter- ple du philosophe Ibn Sina (Avi-
native aux pouvoirs de Byzance cenne), sinon sa création
et de Babylone. Tout au long de scientifique, illustre la volonté du
ses différentes conquêtes, la civi- khalifat à maintenir le pouvoir
lisation arabo-musulmane pui- musulman, non pas seulement
sera son dynamisme, son par la force des armes, mais aussi
originalité et sa richesse dans la par le rayonnement culturel.
multiplicité des sources et de ses L’impact du monde islamique est
ressources, tant humaines que tel qu’il se traduit par la création
matérielles. Abstraction faite de d’écoles, d’observatoires, d’uni-
l’islamisation et de l’arabisation, versités, d’hôpitaux – les pre-
cette nouvelle civilisation s’af- miers étant fondés sous le règne
firme aussi par le dialogue ins- de Haroun Al Rachid au IXe siècle
tauré entre les penseurs, non –, de bibliothèques publiques
sans recourir à la tradition philo- comme celle de Cordoue qui
sophique léguée par la Grèce. compte au Xe siècle 400 000 vo-
Après la prise des anciens terri- lumes. Quant à la conception ar-
toires sassanides, en Mésopota- d’autres contrées asiatiques. Sans sibles et du lexique, permet aussi même d’une civilisation est ur- chitecturale urbaine, y compris
mie et en Iran, ceux des procéder à la destruction, elle as- le développement des sciences baine, même si la principale celle de la mosquée, elle émane
Byzantins, en Syrie et en Egypte, simile les différentes cultures des et des arts. Pour ce faire, la col- source de richesse demeure la plutôt de la combinaison d’élé-
le mouvement musulman s’éten- pays conquis, faisant de l’accu- lecte de la connaissance relèvera terre. ments empruntés à toutes les ar-
dra progressivement au-delà de mulation des connaissances une de la traduction de textes de mé- Sans cette quête du savoir et l’in- chitectures orientales : à l’Egypte
la Perse, à l’est : Inde et même la règle fondamentale pour son dé- Le génie des savants novation des génies, des villes la salle à colonnes; à la Perse la
Chine, à l’ouest : Afrique du veloppement. Cela passe notam- comme Baghdad, Le Caire, Cor- coupole; à l’Espagne wisigo-
Nord, Espagne… Sans pratiquer ment par la traduction en langue decine, de philosophie, d’astro- doue, Fès, Kairouan n’auraient thique l’arc en fer à cheval. Dès le
donc l’exclusion, la civilisation arabe du savoir des « An- nomie et d’autres disciplines. Il pas pu se développer. Ces capi- XVIe siècle, la civilisation arabo-
musulmane apparait comme ciens », ceux de Grèce entre au- est notamment question d’aller tales de l’islam reflètent une civi- musulmane subira son déclin. Si
celle d’une synthèse originale. tres. Les savants du Moyen-âge vers la maîtrise des formes an- lisation commune et universelle. l’explication réside dans l’appau-
Elle fait sienne des éléments cul- musulman se sont attelés à cette ciennes d’irrigation, des adduc- L’apport des savants du monde vrissement économique, elle l’est
turels byzantins, eux-mêmes hé- tâche, sachant qu’une langue qui tions d’eau, des techniques musulman reste, au jour d’au- aussi dans la Reconquête catho-
ritiers de la Grèce et de Rome, traduit s’enrichit en augmentant agricoles et d’amélioration des jourd’hui, une référence indénia- lique et dans le dogmatisme
ceux de la Perse, de l’Inde et le champ des significations pos- cultures. D’autant que l’essence ble. Quoi que confrontés au inhérent à la religion.
Ces Rustumides qui ont fondé Tahert et investi le M’zab
Ni Chiites ni Sunnites, les Rustumides de la aux Arabes le pouvoir de commander aux wiya (gouverneur de Damas), et d’autre encore, Tahert voit exécuté El Yaqzân son
vallée du M’zab dans le Sud algérien, autres musulmans ». part, à ceux – les Sunnites – de Othmane dernier imam, en 909. L’armée des Fati-
connus sous le nom de Mozabites au- Il en est ainsi pour Rustum qui s’est intégré (les premiers étant accusés par les seconds mides, sous la direction du chiite Obeïd
jourd’hui, sont une émanation du mouve- aux habitants autochtones de Tahert, épou- de la mort de ce dernier en 655). Ils contes- Allah renverse le pouvoir rustumide. Les
ment kharidjite : le précurseur du premier sant même une Berbère des Ath Ifren. Il tent l’idée de vengeance de ce meurtre, Ibadites prennent la fuite et s’installent à
Etat musulman dans le Maghreb central, à fera de sa capitale ibadite un centre pros- proclament la nullité du califat d’Ali, Sedrata, près de Ouargla dans le sud algé-
Tahert dans l’ouest d’Algérie, dès 761. père grâce au commerce de l’or, il assure condamnent la conduite de Othmane. Ils rien où des vestiges datant du Xe-XIe siè-
Désigné par le consensus d’un conseil de l’équité et la paix entre les différentes com- apparaissent alors comme une dissidence cle) sont découverts en 1868. Leur
sages ibadites, l’imam Abd El Rahmen Ibn munautés (berbères, habitants originaires sous les Omeyyades (661-750) en quittant existence y est relativement courte, non
Rustum devient le fondateur de l’Etat rus- de Kairouan, Koufa ou Bassora, chrétiens les rangs d’Ali. sans la préservation de leur culte.
tumide, en 777. Tahert (ou Tihert) – l’ac- autochtones) sous l’œil vigilant du conseil Ces révoltés portent, désormais, le nom de Ils reprennent le chemin de la migration et
tuelle Tagdemt située à une dizaine de km des sages. Il aménage des espaces urbains, Kharidjites (les sortants). Ils intéressent les s’installent dans la vallée du M’zab. Ils y
de Tiaret – en est la capitale. Les limites de développe les vergers et la culture maraî- berbères nord-africains pour leur vision édifient une pentapole : El Atteuf (1010),
son territoire ne sont pas bien définies, chère. Pour son fils Abd El Waheb et pre- collégiale du pouvoir. De nouveaux Emirats Béni Isguen, Bou Noura, Melika (1048),
mais son rôle religieux mier successeur en 784, naissent alors, notamment ceux des Bargh- Ghardaïa (1053) la cité cosmopolite
Dissidence des Kharidjites
est reconnu dans plu- le pouvoir ibadite repose wata (744-1058), des Midrarides de Sijil- construite sur une colline pour des motifs
sieurs régions d’Afrique du nord et même principalement sur « les épées des Nefouça masa (758-1055) au Maroc, de Abou défensifs. Fidèles à leur identité, ils ont dé-
au-delà. Abd El Rahmen est originaire de et les richesses des Mazâta », soit l’ossature Qourra du côté de Tlemcen (742-789). Le veloppé un commerce qui, au jour d’au-
Perse, il s’est établi à Tahert après avoir de l’armée et le commerce de ces tribus mouvement kharidjite s’imposera aussi à jourd’hui en Algérie, représente une part
gouverné Kairouan et converti la tribu ber- berbères du Maghreb-est. Oman en 749 et au Yemen en 756. importante de l’économie nationale. Ils
bère des Infusen (Nefouça) au kharidjisme. En centre rayonnant, Tahert s’affirme Les Rustumides, eux, seront marqués par construisent une autre ville, Berriane (1690).
Cette doctrine islamique comprend elle- comme une autorité indépendante du ca- plusieurs conflits, ag- Ils ont pu conserver leur
Une courte vie à Sedrata
même quatre branches : Azraqites, Naja- lifat des Abbassides à Baghdad. La raison gravés par la mort de dogme dans toute la ré-
dât, Sufrites, Ibadites. Seul l’ibadisme a d’être du kharidjisme réside dans le libre leur fondateur. Ce dernier a même prédit : gion. Leur conseil de sages codifie le mode
subsisté dont le nom revient à Abdullah ibn choix du guide, de l’imam par les croyants, « Voici une ville où le sang ne cessera de de vie social, économique de la commu-
Ibad (de la tribu des Tamimi en Arabie mais aussi dans l’interprétation rigoriste couler et où l’on fera toujours la guerre ». nauté tout en tolérant les autres rites mu-
Saoudite). Son chef spirituel et politique des textes, soit « l’observance de la loi de Au lieu de continuer à choisir librement sulmans. L’ibadisme a réussi à devenir une
n’est pas choisi selon ses origines et son l’islam, appuyée sur la foi, les œuvres et la leur imam, les successeurs préfèrent une doctrine d’Etat, même s’il constitue une mi-
statut social ou encore selon la règle mu- pureté de conscience », selon M. Kad- autorité dynastique héréditaire, à commen- norité islamique. Au-delà du M’zab, ses
sulmane du Califat. Il doit être, d’après l’his- dache. Avant de s’exiler en Afrique du nord, cer par le fils de Abd El Rahmen dont la lé- communautés sont implantées à Zanzibar,
torien Mahfoud Kaddache, « l’homme le les Kharidjites se sont opposés, d’une part, gitimité n’est pas reconnue par tous les en Libye (Djebel Nefouça, Zuwara) et en Tu-
plus pur, le plus pieux, le plus savant sans aux partisans – Chiites – de Ali qui rejettent Kharidjites. Le pouvoir rustumide s’affaiblit nisie (île de Djerba). L’exception est à
qu’aucune supériorité de race n’attribuât la légitimité du quatrième califat pour Mua- au fur et à mesure des luttes internes. Pis Oman : seul pays à majorité ibadite.