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             Dimanche 1er Décembre 2019
                                                                 Civilisation islamique


                                 UNIVERSALITÉ ET DIVERSITÉ



               L’évocation de la civilisation arabo-musulmane comme une histoire brillante seulement, sans reconnaître l’apport de différentes cultures
                                     antérieures à la propagation de l’islam dans le monde, relève de la conservation d’un mythe.
                   e par sa rapide expan-                                                                                       dogmatisme et au conservatisme
                   sion, dès la seconde                                                                                         de courants musulmans, ils ont
            Dmoitié du VIIe siècle, l’is-                                                                                       œuvré à la progression. L’exem-
            lam s’impose comme une alter-                                                                                       ple du philosophe Ibn Sina (Avi-
            native aux pouvoirs de Byzance                                                                                      cenne),  sinon  sa  création
            et de Babylone. Tout au long de                                                                                     scientifique, illustre la volonté du
            ses différentes conquêtes, la civi-                                                                                 khalifat à maintenir le pouvoir
            lisation arabo-musulmane pui-                                                                                       musulman, non pas seulement
            sera  son  dynamisme,   son                                                                                         par la force des armes, mais aussi
            originalité et sa richesse dans la                                                                                  par le rayonnement culturel.
            multiplicité des sources et de ses                                                                                  L’impact du monde islamique est
            ressources, tant humaines que                                                                                       tel qu’il se traduit par la création
            matérielles. Abstraction faite de                                                                                   d’écoles, d’observatoires, d’uni-
            l’islamisation et de l’arabisation,                                                                                 versités, d’hôpitaux – les pre-
            cette nouvelle civilisation s’af-                                                                                   miers étant fondés sous le règne
            firme aussi par le dialogue ins-                                                                                    de Haroun Al Rachid au IXe siècle
            tauré entre les penseurs, non                                                                                       –, de bibliothèques publiques
            sans recourir à la tradition philo-                                                                                 comme celle de Cordoue qui
            sophique léguée par la Grèce.                                                                                       compte au Xe siècle 400 000 vo-
            Après la prise des anciens terri-                                                                                   lumes. Quant à la conception ar-
            toires sassanides, en Mésopota-  d’autres contrées asiatiques. Sans  sibles et du lexique, permet aussi  même d’une civilisation est ur-  chitecturale urbaine, y compris
            mie et en Iran, ceux des     procéder à la destruction, elle as-  le développement des sciences  baine, même si la principale  celle de la mosquée, elle émane
            Byzantins, en Syrie et en Egypte,  simile les différentes cultures des  et des arts. Pour ce faire, la col-  source de richesse demeure la  plutôt de la combinaison d’élé-
            le mouvement musulman s’éten-  pays conquis, faisant de l’accu-  lecte de la connaissance relèvera  terre.          ments empruntés à toutes les ar-
            dra progressivement au-delà de  mulation des connaissances une  de la traduction de textes de mé-  Sans cette quête du savoir et l’in-  chitectures orientales : à l’Egypte
            la Perse, à l’est  : Inde et même la  règle fondamentale pour son dé-  Le génie des savants   novation des génies, des villes  la salle à colonnes; à la Perse la
            Chine, à l’ouest  : Afrique du  veloppement. Cela passe notam-                         comme Baghdad, Le Caire, Cor-  coupole; à l’Espagne wisigo-
            Nord, Espagne… Sans pratiquer  ment par la traduction en langue  decine, de philosophie, d’astro-  doue, Fès, Kairouan n’auraient  thique l’arc en fer à cheval. Dès le
            donc l’exclusion, la civilisation  arabe du savoir des «  An-  nomie et d’autres disciplines. Il  pas pu se développer. Ces capi-  XVIe siècle, la civilisation arabo-
            musulmane apparait comme     ciens  », ceux de Grèce entre au-  est notamment question d’aller  tales de l’islam reflètent une civi-  musulmane subira son déclin. Si
            celle d’une synthèse originale.  tres. Les savants du Moyen-âge  vers la maîtrise des formes an-  lisation commune et universelle.  l’explication réside dans l’appau-
            Elle fait sienne des éléments cul-  musulman se sont attelés à cette  ciennes d’irrigation, des adduc-  L’apport des savants du monde  vrissement économique, elle l’est
            turels byzantins, eux-mêmes hé-  tâche, sachant qu’une langue qui  tions d’eau, des techniques  musulman reste, au jour d’au-  aussi dans la Reconquête catho-
            ritiers de la Grèce et de Rome,  traduit s’enrichit en augmentant  agricoles et d’amélioration des  jourd’hui, une référence indénia-  lique et dans le dogmatisme
            ceux de la Perse, de l’Inde et  le champ des significations pos-  cultures. D’autant que l’essence  ble. Quoi que confrontés au  inhérent à la religion.

               Ces Rustumides qui ont fondé Tahert et investi le M’zab


            Ni Chiites ni Sunnites, les Rustumides de la  aux Arabes le pouvoir de commander aux  wiya (gouverneur de Damas), et d’autre  encore, Tahert voit exécuté El Yaqzân son
            vallée du M’zab dans le Sud algérien,  autres musulmans  ».             part, à ceux – les Sunnites – de Othmane  dernier imam, en 909. L’armée des Fati-
            connus sous le nom de Mozabites au-  Il en est ainsi pour Rustum qui s’est intégré  (les premiers étant accusés par les seconds  mides, sous la direction du chiite Obeïd
            jourd’hui, sont une émanation du mouve-  aux habitants autochtones de Tahert, épou-  de la mort de ce dernier en 655). Ils contes-  Allah renverse le pouvoir rustumide. Les
            ment kharidjite  : le précurseur du premier  sant même une Berbère des Ath Ifren. Il  tent l’idée de vengeance de ce meurtre,  Ibadites prennent la fuite et s’installent à
            Etat musulman dans le Maghreb central, à  fera de sa capitale ibadite un centre pros-  proclament la nullité du califat d’Ali,  Sedrata, près de Ouargla dans le sud algé-
            Tahert dans l’ouest d’Algérie, dès 761.    père grâce au commerce de l’or, il assure  condamnent la conduite de Othmane. Ils  rien où des vestiges datant du Xe-XIe siè-
             Désigné par le consensus d’un conseil de  l’équité et la paix entre les différentes com-  apparaissent alors comme une dissidence  cle) sont découverts en 1868. Leur
            sages ibadites, l’imam Abd El Rahmen Ibn  munautés (berbères, habitants originaires  sous les Omeyyades (661-750) en quittant  existence y est relativement courte, non
            Rustum devient le fondateur de l’Etat rus-  de Kairouan, Koufa ou Bassora, chrétiens  les rangs d’Ali.      sans la préservation de leur culte.
            tumide, en 777. Tahert (ou Tihert) – l’ac-  autochtones) sous l’œil vigilant du conseil  Ces révoltés portent, désormais, le nom de  Ils reprennent le chemin de la migration et
            tuelle Tagdemt située à une dizaine de km  des sages. Il aménage des espaces urbains,  Kharidjites (les sortants). Ils intéressent les  s’installent dans la vallée du M’zab. Ils y
            de Tiaret – en est la capitale. Les limites de  développe les vergers et la culture maraî-  berbères nord-africains pour leur vision  édifient une pentapole  : El Atteuf (1010),
            son territoire ne sont pas bien définies,  chère. Pour son fils Abd El Waheb et pre-  collégiale du pouvoir. De nouveaux Emirats  Béni Isguen, Bou Noura, Melika (1048),
            mais son rôle religieux                            mier successeur en 784,  naissent alors, notamment ceux des Bargh-  Ghardaïa (1053) la cité cosmopolite
                                 Dissidence des Kharidjites
            est reconnu dans plu-                              le pouvoir ibadite repose  wata (744-1058), des Midrarides de Sijil-  construite sur une colline pour des motifs
            sieurs régions d’Afrique du nord et même  principalement sur « les épées des Nefouça  masa (758-1055) au Maroc, de Abou  défensifs. Fidèles à leur identité, ils ont dé-
            au-delà. Abd El Rahmen est originaire de  et les richesses des Mazâta », soit l’ossature  Qourra du côté de Tlemcen (742-789). Le  veloppé un commerce qui, au jour d’au-
            Perse, il s’est établi à Tahert après avoir  de l’armée et le commerce de ces tribus  mouvement kharidjite s’imposera aussi à  jourd’hui en Algérie, représente une part
            gouverné Kairouan et converti la tribu ber-  berbères du Maghreb-est.    Oman en 749 et au Yemen en 756.     importante de l’économie nationale. Ils
            bère des Infusen (Nefouça) au kharidjisme.  En centre rayonnant, Tahert s’affirme  Les Rustumides, eux, seront marqués par  construisent une autre ville, Berriane (1690).
            Cette doctrine islamique comprend elle-  comme une autorité indépendante du ca-  plusieurs conflits, ag-                  Ils ont pu conserver leur
                                                                                                          Une courte vie à Sedrata
            même quatre branches  : Azraqites, Naja-  lifat des Abbassides à Baghdad. La raison  gravés par la mort de                dogme dans toute la ré-
            dât, Sufrites, Ibadites. Seul l’ibadisme a  d’être du kharidjisme réside dans le libre  leur fondateur. Ce dernier a même prédit  :  gion. Leur conseil de sages codifie le mode
            subsisté dont le nom revient à Abdullah ibn  choix du guide, de l’imam par les croyants,  « Voici une ville où le sang ne cessera de  de vie social, économique de la commu-
            Ibad (de la tribu des Tamimi en Arabie  mais aussi dans l’interprétation rigoriste  couler et où l’on fera toujours la guerre  ».  nauté tout en tolérant les autres rites mu-
            Saoudite). Son chef spirituel et politique  des textes, soit «  l’observance de la loi de  Au lieu de continuer à choisir librement  sulmans. L’ibadisme a réussi à devenir une
            n’est pas choisi selon ses origines et son  l’islam, appuyée sur la foi, les œuvres et la  leur imam, les successeurs préfèrent une  doctrine d’Etat, même s’il constitue une mi-
            statut social ou encore selon la règle mu-  pureté de conscience  », selon M. Kad-  autorité dynastique héréditaire, à commen-  norité islamique. Au-delà du M’zab, ses
            sulmane du Califat. Il doit être, d’après l’his-  dache. Avant de s’exiler en Afrique du nord,  cer par le fils de Abd El Rahmen dont la lé-  communautés sont implantées à Zanzibar,
            torien Mahfoud Kaddache, «  l’homme le  les Kharidjites se sont opposés, d’une part,  gitimité n’est pas reconnue par tous les  en Libye (Djebel Nefouça, Zuwara) et en Tu-
            plus pur, le plus pieux, le plus savant sans  aux partisans – Chiites – de Ali qui rejettent  Kharidjites. Le pouvoir rustumide s’affaiblit  nisie (île de Djerba). L’exception est à
            qu’aucune supériorité de race n’attribuât  la légitimité du quatrième califat pour Mua-  au fur et à mesure des luttes internes. Pis  Oman  : seul pays à majorité ibadite.
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