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16 CULTURE
Mercredi 28 Août 2019
12e Festival du film francophone d'Angoulême (France)
LE FILM "PAPICHA" DE MOUNIA
MEDDOUR TRIPLEMENT PRIMÉ Traditions
Quel apport
Le long métrage de fiction "Papicha" de la réalisatrice Mounia Meddour a décroché dimanche soir
les prix du public et celui du meilleur scénario du 12e Festival du film francophone d'Angoulême de la recherche
(France) en plus du prix de la meilleure actrice revenu à Lyna Khoudri, annonce l'équipe du film.
pour le diwan ?
e premier long métrage de Mou-
nia Meddour, présenté en avant-
Afin d’évaluer le degré de connaissances scien-
Cpremière lors du dernier Festival
tifiques atteint sur la musique diwan et le rituel
de Cannes en mai dernier, s'est vu attribué
dont elle est l’émanation et l’importance des
le Valois du public et celui du scénario,
données récoltées et leur exploitation à des fins
alors que le Valois de l'actrice est revenu
de préservation, de développement ou à des
ex aequo à Lina Khoudri et à la Française
fins anthropologiques il suffirait peut être de
Nina Meurisse.D'une durée de 90 mn,
comparer cela avec les connaissances acquises
"Papicha" revient sur le quotidien de
autour d’un genre musical un peu similaire
jeunes femmes en Algérie dans les an-
comme l’Imzad par exemple qui est un style
nées 1990 à travers l'histoire d'une étu-
musical ancestral même s’il est beaucoup plus
diante vendant ses création de haute
ancien que le diwan.
couture dans les boites de nuits pour se
L’imzad tout comme le diwan s’articule autour
lancer comme styliste. Le casting du film
d’un rituel, ils comprennent tous les deux au
réuni entre autres Shirine Boutella, Amira
moins un instrument musical artisanal entière-
Hilda, et Samir El Hakim.Le jury de ce fes-
ment fabriqué manuellement et avec des ma-
tival, qui s'est tenu du 20 au 25 août, a at-
tières premières naturelles, les deux styles
tribué le Valois de diamant au film "Les
s’accompagnent de textes transmis oralement
hirondelle de Kaboul" coréalisé par les
et nécessitant des traductions, les sons et
Françaises Zabou Breitman et Eléa
rythmes des deux musiques sont difficiles à as-
Gobbé-Mévellec. Ce film également pré-
similer dans les musiques et les sonorisations
senté lors du dernier Festival de Cannes
contemporaines les praticiens présentent tous
est une adaptation du roman éponyme
des spécificités anthropologiques de grande
publié en 2002 par le célèbre écrivain al-
importance. Tout ceci pour dire à quel point ces
gérien Yasmina Khadra.
musiques peuvent se ressembler mais quelle
importance a-t-on accordé au diwan compara-
Béchar
tivement à une musique aujourd’hui inscrite par
korandji, le parler de l’oasis l’UNESCO au patrimoine mondial de l’humanité.
En premier lieu, les plus importantes joueuses
d’Imzad capables d’enseigner cet art ainsi que
de Tabelbala les hommes dépositaires de la poésie qui ac-
compagne le jeu sont tous connus répertoriés
Le mythe d’une seule langue originelle peuplement métisse berbéro-souda- songhaï (qui a assimilé un lexique ber- au niveau de la tutelle et des centres de re-
et commune, fractionnée, par la suite en nais *et s’impose comme terre de pas- bère et arabe. Cette complexité se tra- cherches et ces praticiens reçoivent régulière-
« familles linguistiques » a été véhiculé sage de plusieurs ethnies d’origine duit par la toponymie des villages, qui ment de la matière première nécessaire à la
par la parabole biblique de la Tour de diverses : les mandingues, (victimes portent deux noms (arabe ou amazigh fabrication de l’instrument et une assistance
Babel. Cette théorie fut soutenue par de la Traite Négrière suite à l’invasion et songhaï), comme Sidi Zekri (Kora), médicale ce qui est très loin d’être le cas des
d’illustres linguistes, des tribus nord sahariennes des Qsar Chraia (Ifrenio) Sidi Maklouf diwan qui se connaissent entre eux.
comme Merritt Ruhlen ou encore Noam Royaumes du Mali, Songhai et Bam- (Yami). Le songhaï étant par essence La poésie et les différents airs de l’Imzad sont
Chomsky. Ainsi, théoriciens du langage, bara), les reguibet, les touareg une langue fragmentée, elle est usitée tous aujourd’hui enregistré dans une banque de
socio-linguistes et paléo-anthropo- et chaamba; qui y établirent des rez- dans les régions traversées par le données numériques, et la poésie ancestrale en
logues se scindent en deux Ecoles de zou¤, et axes chameliers. fleuve Niger : le Mali, le Burkina Faso, le Tamasheq transcrite et même traduite en plu-
Pensée, quant à l’origine supposée Mohamed Tilmatine, auteur d’une Niger, le Nigeria, et le Bénin ;et dont le sieurs langues alors que le diwan qui compte
« mono-genèse », ou «poly-genèse » étude sociolinguiste sur l’oasis de Tabel- brassage avec plusieurs langues, parlers des centaines de bradjs dont certains ont déjà
des langues. Les langues en ont fait du bala l’a définie comme suit : « un car- et patois comme le peul, le soninké, disparu n’a jamais bénéficié d’un tel intérêt des
chemin depuis. Elles ont sillonné des refour de très nombreuses pistes le tamasheq, le dogon et la hassaniya a chercheurs même si, théoriquement, il existe
contrées, ont été imposées, malmenées, chamelières qui ont desservi depuis une permis l’émergence de plusieurs dia- quelques spécialistes, alors qu’aujourd’hui les
ou encore contraintes à l’exode comme époque lointaine, difficile à préciser, lectes. Le korandji est considéré comme jeunes avouent chanter des textes sur lesquelles
c’est le cas pour le korandji, le parler de le Drâ et le Tafilalet d’une part, d’autre les plus septentrionaux dialectes son- ils n’ont aucune information et réclament ne se-
l’Oasis de Tabelbala dans la région de la part le Soudan et Tombouctou ». Il en ghaïs, mais aussi le plus isolé. rait-ce qu’un petit livret contenant des textes
Saoura .Exode d’une langue, et émer- résulte un brassage sociolinguiste et Les idées reçues, véhiculées par les oasis transcrits.
gence d’un dialecte Située à l’extrême l’émergence d’un dialecte autotélique voisines qui prétendent que le ko- Lors de la constitution du dossier de classement
sud –ouest de l’Algérie, à 400 km de propre à l’oasis. Ainsi, le Koranji ou Ka- randji est une langue de djinns exprime l’anthropologue Badi Dida avait aussi soigneu-
Béchar dont elle est rattachée adminis- wara’n’dzi ou encore tablbali est le dia- le manque d’ouverture et les césures sement étudié l’environnement dans lequel
trativement, l’Oasis de Tabelbala fut lecte des populations opérées entre le nord Afrique, et évolue cette musique tout comme le rituel dont
citée par les explorateurs et les voya- berbéro-soudanaise, de l’oasis de Tabel- l’Afrique de l’ouest ; dont les points de elle émane ainsi que les différents bouleverse-
geurs, qui la décrivent comme étant bala. convergences et de rencontres sont ments qu’elle a subit ce qui a à peine été sur-
prospère et luxuriante. « Tebelbert est pourtant nombreux. Le brassage de volé dans le diwan par des universitaires issues
une contrée au milieu du désert de Nu- Brassage culturel et assimilation langues et dialectes, aussi éloignées généralement d’autres domaines et qui n’ont
midie » dit, Al-Hassan ibn Mohammad phonétique phonétiquement que géographique- jusqu’à ce jour que de très rares publications.
al-Zayy�t� al-F�s� al-Wazz�n (Léon Le vocable korandji viendrai de ment et leurs assimilations par une eth-
l’Africain). Selon la tradition orale, elle kora’n’dzi, qu’on peut traduire par nie ou un peuple, comme il est le cas en
fut fondée par la tribu berbère des Lam- «langue du village ». Il s’agit d’un mot Algérie, nous offre une mosaïque de
tuna, alliée des Almoravides qui la dé- composé songhaï¤, relié par un connec- parlers qui constitue notre identité po-
serta pour s’établir à Mogador au tif berbère » n ». Cette langue est donc lyphonique plurielle, riche de ses métis-
Maroc. Elle fut ensuite investie par un une synthèse d’un substrat dominant sages culturels.