Page 21 - L’aventure, l’ennui, le sérieux V. Jankélévitch
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L’AVENTURE – V. JANKÉLÉVITCH 21
Ennui et sérieux sont ainsi des expériences d’immersion et de rétrospection, comme Jankélé- vitch y insiste à de nombreuses reprises.
Par contraste, l’aventure fait saillie à partir d’une temporalité qui épouse les contours de la durée tout en saisissant l’instant, entre le présent et l’avenir absent. L’instant est un «presque- rien », mais dans ce presque rien il y a presque tout : la virtualité indéfinie des possibles est pré- sente dans l’instant inattendu de l’Occasion. Il faut à cet effet un minimum de bon sens pour s’orienter dans le bon sens du temps, c’est-à-dire à l’endroit. C’est le temps de l’avènement du futur, que Jankélévitch appelle, notamment depuis sa monographie sur Henri Bergson (1933), la futurition. Ainsi, face à la longue durée du sérieux, l’aventure se concentre sur l’instant fati- dique, saisit le moment opportun qui tranche avec le cours du temps, ce « cours » calculable avec lequel nous faisons nos provisions et nos écono- mies. Par ailleurs, rompant avec « l’éternité bour- souflée de l’ennui » par une séparation altière, l’aventure s’improvise dans le temps de l’imprévu, tout comme le navigateur échoué sur une île déserte doit improviser pour assurer sa survie. Ce qui fait de l’aventure un art de l’improvisation, et de l’improvisation une modalité de l’aventure 1.
1. Jankélévitch parle très peu de l’improvisation dans L’Aventure, l’Ennui, le Sérieux, même s’il rappelle que