Page 23 - L’aventure, l’ennui, le sérieux V. Jankélévitch
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L’AVENTURE – V. JANKÉLÉVITCH 23
haute montagne ne vit pas plus d’aventures, ou à peine plus, que le conservateur de musée : il connaît les cimes « comme sa poche », à force de les avoir sillonnées. Or l’aventure répugne à la répétition : elle ne peut se renouveler dans les formes qu’en changeant d’itinéraire et de contenu. Les aventuriers sont ennuyeux. Le grand livre d’ethnographie de Lévi-Strauss, Tristes Tro- piques, s’ouvrait d’ailleurs sur cette déclaration cinglante : « Je hais les voyages et les explora- teurs 1. » Ennui du tourisme, sérieux du moniteur de canyoning : l’aventure n’y est pas, et elle n’est jamais plus absente que dans les « parcs d’aven- tures ». Telle la grâce, l’aventure ne se mérite pas comme un bien que l’on recherche : on la trouve ou on ne la trouve pas, mais celui qui la cherche est déjà livré à une entreprise bien trop sérieuse.
Voilà pourquoi, suivant une distinction chère à Simmel – mais, à peu de choses près, on la trouve- rait aussi bien chez Nietzsche (peu importe ici la source « originale », puisque ce qui compte est plutôt, précisément, un style de pensée, une sensi- bilité commune) –, Jankélévitch prend soin d’opposer l’aventure comme système d’existence et l’aventure comme style de vie. Le système, c’est un ensemble verrouillé de rapports constants et définitifs entre les éléments d’un tout, tandis que
1. Claude Lévi-Strauss, Tristes Tropiques, Plon, 1955.
 






























































































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