Page 24 - L’aventure, l’ennui, le sérieux V. Jankélévitch
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le style renvoie à une totalité organique, où l’ensemble des parties œuvrent non pas à l’accom- plissement définitif d’une forme, mais à la forma- tion continue de l’individualité vivante. Aussi le style est-il individuel, et il ne conquiert l’universa- lité qu’à partir de la rivalité et de l’émulation qu’il suscite, à l’imitation des saints et des héros, objets de ce que Bergson appelait de son côté la religion dynamique 1. Dans un système, on prétend certes aboutir à une vérité universelle, mais c’est une universalité abstraite et désincarnée, même lors- qu’elle entend nous parler de nos existences. Expliquant qu’il se méfie de tout « système d’exis- tence », Jankélévitch se réapproprie l’expression de Simmel pour lui donner un tour polémique : pour qui sait lire entre les lignes, c’est ici une pique destinée à égratigner les grands mots du lexique existentialiste d’un Sartre (1905-1980) ou d’un Heidegger (1889-1976), eux qui n’ont pour toute existence que le système qu’ils en ont produit.
1. La religion dynamique est l’émulation suscitée par l’admiration des saints et des héros, et l’aventure spirituelle qui en découle, rapport individuel à la foi et à Dieu où le croyant cherche à s’exhausser continuellement vers Dieu en se rapprochant d’un idéal supérieur de moralité. Voir Henri Bergson, Les Deux Sources de la morale et de la religion, GF-Flammarion, 2012, p. 281-335.