Page 25 - L’aventure, l’ennui, le sérieux V. Jankélévitch
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L’AVENTURE – V. JANKÉLÉVITCH 25
Certes, chez Jankélévitch, il y a également un lexique très technique et, c’est peu de le dire, un vocabulaire recherché, mais ce n’est jamais pour se piquer de métaphysique systématique et s’exhausser jusqu’à la vérité de l’existence humaine à coups de néologismes créés de toutes pièces ou de mots-valises. Au contraire, c’est au plus près de l’épaisseur historique et de la singu- larité intime des langues que la pensée de Jankélé- vitch élabore un idiolecte philosophique par de savants dosages, où les termes les plus rares éclairent de manière inattendue les mots les plus usés par le commerce du langage ordinaire. Sans doute cette langue philosophique est-elle, en cela, poétique. Non qu’elle « rémunère le défaut des langues1 », comme la poésie selon Mallarmé. Bien plutôt organise-t-elle la rencontre entre les mots de tribus différentes, historiquement (grec, latin, russe) ou disciplinairement (esthétique musicale, mystique chrétienne, théologie judaï- que, morale). Le style de Jankélévitch est ainsi aventureux, à condition qu’il réussisse – mais qui prétendrait le contraire ? – à relier artistement ces différents thèmes. N’est-ce pas en cela que réside l’art de la composition musicale ? Si Jankélévitch se fait l’émule du musicien, c’est néanmoins avec
1. Voir Mallarmé, « Crise de vers », Œuvres complètes, Gallimard, 2003, t. II, p. 212 sq.