Page 27 - L’aventure, l’ennui, le sérieux V. Jankélévitch
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L’AVENTURE – V. JANKÉLÉVITCH 27
capacité à se lancer dans l’énigme du futur, pour précipiter l’avènement de ce qu’il renferme, même si l’on ignore tout de ce que contient cette boîte de Pandore. Cette indétermination du contenu de l’avenir, accompagnée néanmoins de la certitude de son avènement, est ce que Jankélévitch appelle le je-ne-sais-quoi, qui qualifie la nature indiscer- nable de ce qui est presque là sans l’être, ce que notre auteur nomme ici le futur le plus proche («futurum proximum»), et ailleurs «l’instant» ou « l’occasion », sur la ligne de crête entre le pré- sent et l’avenir.
C’est cela qui est mystérieux : l’instant aventu- reux où quelque chose se décide qui n’était pas prévu. C’est que, comme Simmel y a insisté égale- ment1, l’aventure est une chance que l’on pro- voque, à la manière de celui qui saisit le kairos, devinant qu’il y a là une occasion pleine de pro- messes, mais il ne sait pas lesquelles. Nous par- tons à l’aventure, mais c’est l’aventure qui nous gagne et nous séduit jusqu’à ce que nous misions tout sur et pour elle. Aussi, Jankélévitch n’hési- tera pas à la comparer au ravissement du chant de la sirène. Cette découverte hasardeuse, on peut l’appeler la sérendipité de l’aventure, art de faire des découvertes involontaires à force de tâtonner. Elle est à mettre sur le compte de la réussite
1. Voir les textes de Simmel dans le Dossier, p. 362 sq.