Page 35 - L’aventure, l’ennui, le sérieux V. Jankélévitch
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L’AVENTURE – V. JANKÉLÉVITCH 35
consacré1, et cette expérience est d’abord vécue – vivante épreuve qui ne se prouve pas. Sur ce point, nous sommes très loin de la transcendance sartrienne de l’ego 2 – qui fait l’épreuve de l’exis- tence par une sortie de l’esprit hors de son site incarné (un esprit qui n’est pas engagé, ironisera Jankélévitch, mais qui s’est seulement engagé à s’engager)3 – ou de la manière heideggérienne d’envisager l’existence comme une façon pour l’homme de se projeter hors de l’immédiateté 4.
Or c’est cette résistance du donné, de l’instant, cette épaisseur de la vie qui constituent le mystère à côté duquel Jankélévitch ne veut pas passer. Voilà pourquoi il se détourne de la temporalité telle qu’elle est conçue par l’existentialisme et par une branche de la phénoménologie. Si la tempo- ralité des phénoménologues est proprement humaine, elle est encore envisagée par eux comme
1. « Georg Simmel, philosophe de la vie », repris comme préface à G. Simmel, La Tragédie de la culture, op. cit. Sur la notion de transcendance de soi, voir p. 26-41.
2. Voir Sartre, La Transcendance de l’ego, Vrin, 2000.
3. Sur l’engagement et la résistance chez Jankélévitch, et son opposition sur ce point à Sartre, voir Vladimir Jankélé- vitch, L’Esprit de résistance. Textes inédits, 1943-1983, Albin Michel, 2015.
4. C’est là un raccourci éhonté des développements très touffus du grand livre de Heidegger, Être et Temps (1927), qui consacre un paragraphe (difficile) à la notion d’aven- ture (§ 73).