Page 36 - L’aventure, l’ennui, le sérieux V. Jankélévitch
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36 PRÉSENTATION
homogène, désolidarisée de son site et des situa- tions concrètes – en dépit de la rhétorique situa- tionniste de Sartre. C’est pour cette raison que Jankélévitch insiste tant au contraire sur le fait que le temps, bien que durée continue, est rythmé par des événements plus ou moins anguleux qui font saillie dans nos existences et ne peuvent pas ne pas nous interpeller et nous pousser à agir. C’est un point sur lequel, par fidélité à l’égard de Bergson, il décide de lui être infidèle : là où ce dernier faisait fond sur le fait que le temps réel était effectivement une durée créatrice, Jankélé- vitch insiste plutôt sur l’instant irréductible, celui qui apparaît dans certaines conjonctures tempo- relles que personne ne pouvait prévoir et dont les suites ne sont elles-mêmes pas prévisibles. C’est l’instant où la temporalité de la méditation rejoint celle de l’action, l’instant décisif qui est le temps de la morale en acte, où le couperet du jugement met fin à la délibération. Ou plus exac- tement encore : c’est le temps de l’engagement effectif qui montre qu’ici il n’y a même pas à délibérer.
En effet, l’aventure n’est pas l’aboutissement d’une tergiversation ; elle est ce qui met un terme à la tergiversation de la conscience, ce qui ne l’empêche pas elle-même d’aimer ensuite les détours et les méandres. Mais ce ne sont plus les
































































































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