Page 41 - L’aventure, l’ennui, le sérieux V. Jankélévitch
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L’AVENTURE – V. JANKÉLÉVITCH 41
l’entre-deux, qui est par excellence celle de Janké- lévitch. Car la réciproque du théorème de l’aven- ture sérieuse est vraie : l’aventure meurt de son excès de sérieux, mais elle meurt aussi de son excès de désinvolture. Qu’elle franchisse le seuil vers l’extérieur, et elle n’est plus une aventure, mais la contemplation d’une aventure en troisième personne. Cette théâtralisation de l’aventure fait qu’elle n’est plus vécue, mais entièrement esthéti- sée. Cette échappée désolidarise la conscience de la vie vécue, et autorise à rire des infortunes des héros sur la scène. C’est encore une réminiscence bergsonienne qui préside souterrainement à cette analyse : dans la vie sérieuse, ainsi que l’établit Le Rire (1900), je fais corps avec les événements, et cette intropathie prend la forme de la sympa- thie, qui me permet de me projeter dans d’autres conditions de vie que la mienne, ou de l’empathie, qui me permet d’imaginer une souffrance que je ne vis pas. Mais dans le comique, même la tragé- die devient risible, dans la mesure où le comique vient d’une désolidarisation : je cesse de considé- rer comme un être vivant celui qui ne se conduit pas comme tel, qui cesse de se maîtriser et se rend victime des lois de la mécanique, glissant sur une peau de banane, ratant une marche.
Il en va semblablement dans l’aventure esthé- tique, lorsqu’elle va trop loin dans le détache- ment. Pour rester une aventure, il faut qu’un
































































































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