Page 42 - L’aventure, l’ennui, le sérieux V. Jankélévitch
P. 42

42 PRÉSENTATION
minimum de sérieux, d’intropathie subsiste, ce qui est le cas lorsque je me laisse aller à pleurer avec le héros, franchissant les frontières de mon ego pour me laisser ravir par un vécu humain qui dépasse mon individualité 1. Il y a du sérieux, de ce point de vue, dans le ravissement esthétique, un sérieux moral dans la mesure où l’existence incarnée d’autrui et le sens de ce qui a valeur humaine me sont rappelés concrètement.
Si donc l’esthétique n’est pas exclusive de l’éthique, elle est tendanciellement en concurrence avec elle en ce qu’elle suppose une part de jeu avec le sérieux de la vie, qui signifie sa mise à distance. Voilà pourquoi l’aventure esthétique n’est jamais tout à fait à ce qu’elle fait, même si elle peut être tout entière à ce que fait quelqu’un d’autre (romans, théâtre) ou à ce que l’on fait
1. De ce point de vue, Nietzsche, Bergson et Jankélévitch ont également été marqués par l’esthétique de Schopen- hauer, développée dans le livre III de son maître-ouvrage, Le Monde comme volonté et comme représentation (1818). Schopenhauer y explique que le ravissement esthétique permet d’accéder à une expérience vécue qui dépasse notre individualité illusoire, de façon telle que nous nous identi- fions à un processus plus vaste, celui du devenir gouverné par un principe métaphysique qu’il appelle le Vouloir. On peut se reporter sur ce point aux § 51-52 de l’ouvrage cité, sur la poésie, la tragédie et la musique.
 






























































































   40   41   42   43   44