Page 43 - Rebelle-Santé n° 220
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ÉDUCATION ET ÉCOLOGIE
Marche avec les loups sortira au cinéma le 15 janvier 2020. La sortie du livre* le 7 novembre précède la projection de cette nouvelle aventure du réalisateur Jean-Michel Bertrand dans le prolongement du formidable La Vallée des loups (2017) où il était parti à la rencontre des prédateurs dans la vallée des Hautes- Alpes. Sortir du bocal, c’est le nouveau défi qu’il s’est lancé dans Marche avec les loups, avec l’idée de suivre d’instinct les jeunes loups dans la colonisation de nouveaux espaces. Rencontre.
Cinéaste, Jean-Michel Bertrand est avant tout un amoureux de la nature. Originaire des Alpes, au milieu des années 2000, il revenait filmer
dans sa vallée natale et partait à la quête de l’aigle royal dans Vertige d’une rencontre, avant de se lancer sur la piste des loups. Un livre accompagne la sortie du film, et montre comment cet animal miroir cristal- lise les fantasmes et questionne la peur du sauvage inhérente à nos civilisations occidentales.
Rebelle-Santé : Marche avec les loups, comme vos films précédents (Vertige d’une rencontre en 2010 et La Vallée des loups en 2017), se distingue des docu- mentaires animaliers ordinaires dans le sens où vous en êtes vous-même l’acteur. Comment qualifieriez- vous vos films ?
Jean-Michel Bertrand : Je fais tout simplement du ci- néma, une forme de documentaire de création. C’est toute l’ambiguïté de mes films qui ne sont pas des fic- tions, mais qui ne sont pas non plus des documen- taires au sens strict du terme. Je ne fais pas un repor- tage sur le loup à la manière d’un cours de biologie ou d’un exposé des arguments pour ou contre le retour du loup. Toutes mes images ont été tournées sur place, en direct, avec des moyens techniques très légers, une intrusion minimale et un respect pour les animaux sau- vages dans leur milieu naturel. Néanmoins, je raconte une histoire. Sur deux ou trois années de tournage, les événements peuvent m’amener à remettre en scène certains moments au service de mon scénario que je modifie au fil de ce que je vis. Mon but est d’amener les spectateurs à partager des émotions et à engager une réflexion. Bien sûr, il reste le côté informatif et documenté d’un reportage. Je suis passionné et tou- jours à l’affût des publications scientifiques, mais je ne vais pas relayer les avis complotistes sous prétexte d’objectivité. L’écriture cinématographique me laisse cette subjectivité, une liberté fondamentale que je ne trouve pas dans le formatage de la télévision. Valoriser le libre arbitre est pourtant plus que nécessaire dans nos sociétés actuelles, et je défends l’idée de conser- ver un jugement critique. Au cinéma, le film est aussi un moyen d’atteindre un public varié. Sur les réseaux
sociaux, les algorithmes rassemblent ceux qui pensent à peu près la même chose, ce qui crée des gens bour- rés de certitudes. Prêcher les convaincus ne m’inté- ressent pas. J’aime me confronter aux avis contradic- toires et incarner mon film face à tous les spectateurs, en assistant aux débats qui suivent les projections, par exemple.
Vous avez commencé par tourner en Mongolie, au Canada, en Sibérie ou encore en Islande, qu’est-ce qui vous a motivé à revenir dans votre vallée des Alpes ?
Ces films à l’étranger portaient sur des sujet plus eth- nologiques. Ils sont à l’origine de ma démarche ac- tuelle car j’ai toujours cherché à mettre ma fantaisie et ma créativité dans mes documentaires. Parler à la place des gens pose aussi des questions et je me sentais d’autant plus mal à l’aise que le voyage deve- nait de plus en plus un bien de consommation, un business. J’ai tout abandonné pour cette raison. En re- venant à ma vallée et à mes fondamentaux, je voulais transmette mon ressenti et mon émerveillement pour la nature de proximité, celle de mon enfance.
Rebelle-Santé N° 220 43
© Bertrand Bodin


































































































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