Page 45 - Rebelle-Santé n° 220
P. 45
ÉDUCATION ET ÉCOLOGIE
... un loup solitaire dans son environnement naturel
meute, ce qui s’est confirmé après le tournage par la naissance de louveteaux. C’est extraordinaire ! La réa- lité a dépassé mon rêve et ma fiction.
Avec La Vallée des loups, vous aviez développé toute une méthode à l’aide de caméras automatiques pour observer sans être vu. A-t-elle évolué dans votre iti- nérance ?
Trouver de nouvelles meutes a quelque chose de gri- sant et je me laisse emporter par ce jeu, c’est aussi ce qui donne son âme au film. Le loup est un ani- mal discret. Si l’hiver on peut repérer les traces dans la neige, sans les caméras automatiques que je pose à certains endroits avec un détecteur infrarouge, je ne verrais rien du tout. Dans La Vallée des loups, j’ai ap- pris à choisir ces endroits. Au début, je captais toutes sortes d’animaux, sauf des loups. Peu à peu, je me suis familiarisé avec le fonctionnement de l’animal, et j’ai appris à mieux disposer mes caméras qui me four- nissent des informations capitales : savoir si ce sont de jeunes loups, une meute ou des loups solitaires, s’il y a des petits... Les caméras sont là 365 jours par an et je recueille les informations en toute discrétion. J’adore ça, c’est même devenu une drogue dure. Une fois que j’ai repéré un territoire occupé par des loups, il faut ensuite se faire tolérer, intégrer le décor pour ne pas les inquiéter et attirer leur curiosité. J’évolue en jour- née aux heures où ils ne sont pas là et je bivouaque sur place, toujours au même endroit. Le secret, c’est le ri- tuel. Pour moi, c’est la seule méthode qui vaille quand on est seul ou avec une toute petite équipe, même si en quittant la vallée pour Marche avec les loups, j’ai
aussi pu bénéficier de l’aide et des conseils de tout un réseau sur différents territoires occupés par des loups.
En quoi le loup cristallise-t-il la peur du sauvage ?
Le loup aimante les fantasmes et notre rapport au loup est complètement irrationnel. Il est surtout la partie émergée de l’iceberg, un révélateur de notre rapport à la nature. Le sauvage est assimilé à l’exotisme et on a l’impression qu’il faut aller à l’autre bout du monde pour l’observer. Par définition, le sauvage est tout ce qui fonctionne sans nous, en ville, dans un jardin comme dans un pot de fleur ou dans une vallée inhabi- tée. La nature est un tout, dans mon film, je parle aussi des guêpes ou des fourmis. De fait, le sauvage interfère en permanence avec nous. Les réponses à nos ques- tionnements les plus fondamentaux sur l’évolution, la vie, la mort, notre place sur terre se trouvent dans la nature. Pourtant, au mépris des connaissances scienti- fiques sur la biologie des espèces, l’humain croit pou- voir jouer aux apprentis sorciers avec la nature. Plutôt que de s’en servir d’exemple, il cherche à la dominer, à la réguler. Or, la régulation se fait d’elle-même dans la nature. Les loups savent très bien s’autoréguler, leur nombre dépend des proies disponibles sur le territoire qu’ils ont choisi. À l’inverse, les humains sont la seule espèce capable de consommer plus que ce que la na- ture peut produire. Ce côté égoïste et dévastateur est ancré en nous, mais il est avant tout culturel. Pour tout contrôler, on fait des statistiques et on compte les mou- flons, les loups, les cerfs. On affirme qu’on peut tuer ceci ou cela, sans remettre en cause l’impact humain sur la nature et sur les territoires des animaux sauvages.
Rebelle-Santé N° 220 45
Photos pages 44 et 45 © Bertrand Bodin