Page 46 - Rebelle-Santé n° 220
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ÉDUCATION ET ÉCOLOGIE
À pas de loup...
Vous donnez aussi la parole à des bergers moins hostiles aux loups que la caricature qu’on s’en fait, en quoi était-il important de sortir de l’opposition entre pro et anti-loup ?
Le loup est systématiquement associé à l’élevage et j’étais obligé de parler des bergers, puisque dans mon périple je croisais des troupeaux. Toutefois, j’insiste pour remettre la problématique pastorale à sa place. L’ennemi des jeunes loups en dispersion, ce sont d’abord les autres loups qui défendent leur territoire, d’autant que l’urbanisation fait aussi obstacle à leur expansion. D’ailleurs, tout n’est pas binaire. La majo- rité des bergers jouent le jeu et ne sont pas hostiles à la présence du loup parce qu’ils acceptent l’idée de travailler sur des territoires sauvages, qui ne sont pas des biens privés et exclusifs. Certains parviennent aussi à trouver un terrain de cohabitation : ça passe par des chiens, une surveillance omniprésente et de plus petits troupeaux. Le loup est un animal opportu- niste, intelligent et stratège. Travailler avec lui n’a rien d’évident. Son retour crée une contrainte. Pendant 80 ans, le loup avait disparu et on lâchait dans les estives des milliers de brebis à droite à gauche sans se poser de questions. Aujourd’hui, le loup redonne aussi sa raison d’être et ses lettres de noblesse au métier de berger. L’aide des pouvoirs publics aux éleveurs n’est pas négligeable et le but n’est pas non plus que le loup mange les brebis. Je parle de bon sens. De même, je n’ai pas de problèmes lorsqu’un berger tire sur des loups harceleurs pour défendre son troupeau. Mais le système des quotas d’abattage de loups amène, à l’inverse, à la destructuration arbitraire des meutes, à une dispersion artificielle qui amplifient les pro- blèmes avec les éleveurs. C’est une solution, encore
une fois, complètement hors-sol, déconnectée de ce qui se passe réellement dans la nature. Il y a surtout une minorité très active, qui refuse catégoriquement le retour de l’animal en jouant la victimisation et en instrumentalisant le loup au niveau politique.
En quoi le loup est un émissaire de votre engage- ment pour la protection de la nature ?
J’ai toujours vécu la destruction de la nature comme une terrible injustice. Au fil des années, j’ai constaté avec beaucoup de tristesse la dégradation des espaces naturels, mais j’ai aussi vu l’extraordinaire résilience de la nature si on en prend soin. Les espèces reviennent vite, si on les protège. J’ai pu l’observer pour l’aigle ou le loup, mais aussi le gypaète barbu, ce vautour qui avait disparu à cause de croyances moyenâgeuses. Les décisions de protection prises depuis les années 1970 ont joué un rôle. Hélas, aujourd’hui, la classe politique privilégie de plus en plus le clientélisme face aux lobbys des chasseurs ou du monde agricole. La protection de la nature reste un combat essentiel. On arrive au bout du système, c’est même trop tard au ni- veau du climat. Comment peut-on encore se poser des questions, avoir des doutes sur les politiques à mener ?
Propos recueillis par Lucie Servin
*Marche avec les loups, Jean-Michel Bertrand
et Bertrand Bodin. Éditions La Salamandre. 29 €.
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© Bertrand Bodin


































































































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