Page 59 - Demo livret 8
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Cet assemblage, réalisé contre tout sens pratique de la technique pointue qui était à ma portée, correspondait cependant beaucoup mieux à ce que je voulais dire avec ce relevé de terrain. J’avais certes l’intention de produire un document, tout en troublant ces données factuelles pour produire une image. Par le dédoublement, l’enchevêtrement des prises de vue, j’ai cherché à produire une forme archéologique, empreinte de l’action humaine à la fois dans l’espace et le temps. Cette vue du terrain vague est un moment de synthèse pour le projet. Centrale dans l’espace d’exposition, elle est aussi présente dans l’édition, où elle recouvre le fond de la boîte qui contient les 7 cahiers.
Google maps nous a habitués à l’esthétique des images satellite, qu’on retrouve un peu ici. Néanmoins, il s’agit d’un autre procédé technique, qui permet un rendu 10 fois plus précis et détaillé. Le degré de précision permet de distinguer dans les herbes folles du terrain vague les sentiers tracés par ces usagers furtifs, des cadres de fenêtres brisées au pied de la Maison des Soviets, la mousse qui recouvre les surfaces en béton de ses fontaines délaissées, les pierres des fondations du château de Königsberg, découvertes, les traces des pneus des bulldozers dans du sable fraichement amené pour travestir une partie du terrain vague en une fan-zone de la Coupe du Monde. Le terrain est comme placé sous microscope, étalé sur une table d’opération. Dans la matérialité de cet assem- blage le relevé de terrain numérique acquiert une dimension géologique, où le paysage est constitué d’une multitude de strates superposées.
Le cadrage de la vue aérienne du terrain vague s’accorde en quelque sorte avec l’idée du circuit, fermé, dont s’empare le film placé à l’entrée de l’exposition : en dehors de la cloison qui délimite la zone même du terrain vague, visible à l’image, le lieu est encadré une deuxième fois par les rails du tramway, qui en font le tour presque complet. Ce tour de la place Centrale apparaît également dans le film. Ce renfermement, aussi, est une métaphore de l’enclave, dont le terrain vague apparaît comme une sorte de modèle réduit.
D’une certaine façon, par des moyens plastiques et techniques différents, ces deux pièces tendent vers la même chose : là où le film aspire à embrasser le centre-ville à la hauteur du regard, le relevé de terrain vise à en donner une vision d’ensemble, du dessus. Le spectateur a ainsi accès à une double expérience spatiale. En effet, ces deux images, le film et l’assemblage de prises de vue aériennes, cherchent à créer du recul, à se détacher du paysage immédiat pour accéder à une vision d’ensemble. Ce sont les résultats plas- tiques de deux tentatives distinctes d’approcher un tout.
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