Page 58 - Demo livret 8
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→ RELEVÉ DE TERRAIN
Pour le projet, la figure du terrain vague est essentielle, où ce terrain vague en particulier, celui de la place Centrale, est perçu comme une sorte de concentré d’influ- ences contradictoires de l’ensemble des 7 discours réunis : où les ruines du château de Königsberg avoisinent le Palais des Soviets à l’abandon, où sont entreposés des stands de projets de reconstruction désuets, où les chiens de garde chassent des jeunes amateurs de friches, alors que Petrovitch, le gardien éméché, est prêt à faire visiter la zone interdite pour une somme modique.
Une fois dans l’espace principal de l’exposition, nous nous retrouvons dans une scénographie, déployée autour d’un élément central : l’assemblage de prises de vue aériennes du terrain vague de la place Centrale. Les différentes pièces présentes dans la salle se découvrent lors du déplacement dicté par le périmètre de l’espace, dont le centre reste inaccessible. Au sol, on voit un millefeuille d’images, superposées les unes sur les autres. L’ensemble est constitué de 118 prises de vue photographiques, réalisées par un drone avec un logiciel spécifique destiné au relevé de terrain. En novembre 2017 je me suis précipitée pour faire ces prises de vue avec un sentiment d’urgence : j’ai appris que le terrain autour de la Maison des Soviets, ce site ensauvagé et importun en plein centre-ville, la quintessence même de mon projet de recherche, allait être partiellement réaménagé en une « fan-zone » de la Coupe du Monde de football. Évidemment, il fallait s’y attendre. Ce paysage indésirable, qui s’est développé, voué à lui-même, durant tant d’années, et qui s’est progressivement substitué au projet, n’allait pas échapper aux pulsions administratives consistant à remettre de l’ordre la veille du Mondial.
J’ai voulu retenir ce paysage, avant qu’il ne soit irrémédiablement perturbé, ne serait-ce qu’en image, en garder une documentation détaillée, qui serait un support d’étude po- tentiel de ce site, sinon un souvenir lorsqu’il serait perdu. Étant à l’époque à Paris, j’ai dû diriger le processus à distance et confier la tâche à une boîte quelconque basée à Kalinin- grad, qui proposait le service de prise de vue par drone. J’ai envoyé quelques instructions par mail et je les ai laissés faire. Il faut dire que dans cette précipitation j’ai été chanceuse car le lendemain de la prise de vue il a neigé pour la première fois de la saison et le terrain a été recouvert. Un jour plus tard je me serais retrouvée avec le paysage nappé de blanc. Lorsque la neige a fondu au printemps, le chantier avait déjà commencé.
Le drone se déplace à 70 mètres d’altitude en suivant des lignes parallèles et il réalise des prises de vue qui couvrent toute la superficie du terrain. Ensuite le logiciel fusionne les vues en une seule image et livre un fichier avec une vue d’ensemble. Néanmoins, j’ai délibérément renoncé à cette étape pour reconstituer l’assemblage manuellement, avec des tirages matériels. Toutes les prises de vue ont été imprimées individuellement et contrecollées sur du linoléum pour apporter de l’épaisseur à la forme et produire une masse légèrement en relief par rapport au sol. La vue d’ensemble se construit à la fois par le morcellement et la superposition des prises de vue.
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