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muette était la preuve par l’acte de sa détermination à vouloir me séduire. Les jours suivants,
j’acceptai finalement une invitation à l’extérieur du cabaret. Puis tout naturellement, d’autres
sorties suivirent. Cet homme connaissait la ville comme sa poche et me faisait découvrir le
grand Paris, surtout celui des beaux restaurants comme La Tour d’Argent, Les Deux Magots,
lieux mythiques fréquentés par les intellectuels et bien d’autres lieux de standing que je
prenais plaisir à fréquenter accompagnée de ce gentleman. Tout comme chez l’élite de la
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bourgeoisie, l’allure de Fabien se conjuguait avec sa délicatesse. A chacune de ses
invitations au restaurant, je découvrais cachée sous ma serviette une surprise, petit cadeau
choisi avec goût, qu’il faisait déposer là avant notre arrivée.
La première fois qu’il m’invita, ce fut au Trafalgar, restaurant situé dans une rue adjacente au
quartier de Pigalle, conçu et agencé sur deux étages comme un saloon de l'Ouest américain du
XIXe siècle. Nous étions en haut, la conversation s’annonçait choisie et la soirée,
prometteuse, quand tout à coup… au beau milieu du repas, trois hommes cagoulés firent
irruption en hurlant : « Tout le monde à terre et que personne ne bouge ! » En un clin d’œil,
les clients plongèrent au sol, avant de pleinement réaliser ce qui se passait. Pétrifiés et
tremblants, nous entendîmes plus que nous ne vîmes les malfrats embarquer la caisse.
Plusieurs clientes furent délestées de leurs bijoux. J’étais aplatie face contre terre sous la
table, protégée par Fabien qui s’était couché sur moi et qui n’en menait pas large non plus ;
nous n’attirâmes heureusement pas leur attention. L’action ne dura que quelques minutes puis
les trois malfrats s’éclipsèrent aussi vite qu’ils étaient entrés. Cette scène de film, vécue de
l’intérieur, me terrifia. Et si c’était une action de Mesrine ? A cette époque en effet, la légende
du gangster faisait grand bruit. Ce truand au grand cœur, star des médias, avait fait de sa lutte
contre l’isolement son cheval de bataille, à coups de brigandages, enlèvements, évasions et
autres actions fracassantes. Il fut exécuté par les forces de l’ordre, sans sommation, trois ans
plus tard, le 2 novembre 1979 à la porte de Clignancourt à Paris, en pleine circulation. Il avait
42 ans et fit parler de lui encore longtemps après sa mort. En 2008 sera tiré de son histoire le
film L'Ennemi public n°1 avec Vincent Cassel et Gérard Lanvin, qui reprend les événements
allant de son retour en France à son trépas.
Après cette frayeur, Fabien me proposa de passer la nuit chez lui. Encore sous le
choc, j’acceptai volontiers sa proposition, tout en y mettant une condition : je ne viendrais que
s’il avait une chambre d’ami à me proposer. Sa réponse fut affirmative. Parti des alentours du
quartier de Pigalle, Fabien emprunta le périphérique. J’eus l’impression que le trajet n’en
finissait pas. « Vous m’emmenez au bout du monde ! lui dis-je. - C’est presque ça ! » me
répondit-il. Fabien résidait dans le XVIe arrondissement, rue Poussin. Finalement nous
arrivâmes devant un splendide immeuble cossu d’une très belle architecture, signe d’un statut
plus que confortable. C’est ainsi que ma relation avec Fabien, le garçon de bonne famille,
débuta. Peu de temps après cette première nuit passée chez lui en tant qu’invitée, rien de plus,
je finis, sous les assauts de son insistance, par accepter de venir m’installer là, quittant avec
enthousiasme mon petit hôtel de la rue Joseph de Maistre.
Tous les soirs, en véritable gentilhomme, Fabien me conduisait chez Madame Arthur où je
continuais à me produire. Je pouvais enfin vivre de nouveau selon mes propres exigences, et
non au gré de contingences ou d’urgences dictées par d’autres.
Un mois après mon installation chez Fabien, un soir, je venais d’entrer en scène, dos au
public. Au moment où je me retournai, faisant face à la salle en ouvrant mon déshabillé d’un
geste ample, j’eus la stupeur de voir, assis au premier rang, Bernard le restaurateur genevois,
celui-là même que je fuyais. Il était entouré de son maître d’hôtel, celui que je connaissais, et
de deux autres inconnus ! Le crâne rasé comme un légionnaire, il ne me lâchait pas des yeux
20 Pour des raisons de protection de la personnalité, nous avons choisi un prénom d’emprunt.
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