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Comme tant de femmes éduquées dans cette perspective, je rêvais des beautés d’un mariage
               idéalisé ; je revendiquais ma place au soleil, ne me contenterais plus d’être celle qu’on voit à
               la sauvette. Malmenée par la vie, j’avais besoin de certitudes, de m’établir, de construire un
               avenir solide. J’allais donc inéluctablement choisir celui qui m’offrirait cette possibilité.
               Fabien lui, se montrait toujours plein d’attentions, à l’écoute et délicat. Un soir pas comme les
               autres, il me prit dans ses bras, me murmurant des mots doux, laissant déferler sur moi son
               amour trop longtemps contenu. Du stade de confident, il passa cette nuit-là à celui d’amant,
               un bien piètre amant qui n’eut guère le temps de m’amener à l’extase lors de cette première
               étreinte écourtée par un plaisir prématuré. Par la suite, je sus le mettre à l’aise, dédramatisant
               ces plaisirs précoces, banals pour moi mais toujours mal vécus par celui qui en est touché.
               J’allais, au fur et à mesure du temps, lui révéler pas à pas les arcanes et le cheminement qu’il
               fallait comprendre, apprendre, pour apprécier et atteindre l’harmonie. Après cette initiation
               aux plaisirs contenus, ce fut entre nous des nuits d’un romantisme exquis, mêlées d’érotisme,
               de sensualité brûlante, de volupté, nuits où nous pouvions enfin atteindre la communion de
               l’extase commune.
               Entre  mes  deux  prétendants,  je  menais  une  vie  très  confortable,  prenant  le  temps  de
               m’occuper  de  moi,  de  voir  mes  amies  et  amis,  de  faire  du  shopping,  de  peindre,  passion
               délaissée dans le tumulte des dernières décennies. Ma vie sociale et oisive ne me satisfaisait
               toutefois  pas  complètement.  Fabien,  de  par  son  milieu  et  ses  inclinations,  affectionnait  les
               bourgeois bohèmes, soixante-huitards attardés que de tout temps j’avais préféré ne fréquenter
               que de loin. N’ayant pas grand-chose à partager avec ces gens, ni dans leur mode de vie, ni
               politiquement, parmi eux je me sentais presque toujours horriblement seule. Dans ce genre de
               réunions, régulièrement, quand l’un ou l’autre des convives s’intéressait à moi, j’étais assaillie
               de questions souvent déplaisantes portant sur la provenance de mes bijoux, de ma garde-robe,
               sur mes goûts de bourgeoise bon chic bon genre. Leurs questionnements à la limite de l’ironie
               me  mettaient  mal  à  l’aise  comme  tout  ce  qui  faisait  office  d’étiquette.  Ces  gens  et  ces
               réunions  m’agaçaient  profondément.  Personnellement,  je  préférais  les  petits  comités
               structurés qui mettaient  à l’honneur plus de raffinement comme le plaisir de conversations
               choisies.
               Que pensaient les parents de Fabien, pharmaciens issus de la haute bourgeoisie parisienne, de
               la nouvelle idylle qui s’esquissait entre leur fils chéri et moi ? Serait-elle durable ou serait-elle
               aussi désastreuse que son précédent mariage avec une fille du petit peuple ? Par le truchement
               d’une tante qui habitait l’étage supérieur, ils avaient appris que depuis quelques mois, leur fils
               vivait avec une femme plus proche du show-business que des salons de Rambouillet : une
               créature qui vivait la nuit, qui fumait, bref, pour eux une extravagante, une intruse, une femme
               de mauvaise vie que dorénavant il s’agirait de tenir à distance… voire d’éliminer de la vie de
               leur fils. Celui-ci, à leurs yeux, méritait mieux qu’une espèce de demi-mondaine dont ils ne
               connaissaient  même  pas  le  passé.  Sous  le  poids  de  toutes  ces  suspicions,  d’un  malaise
               grandissant  au  sein  de  notre  relation,  je  pris  les  choses  en  main  et  proposai  à  Fabien  de
               déménager  hors  de  la  sphère  d’influence  de  ses  parents,  visiblement  mal  disposés  à  mon
               égard. Même le statut de l’appartement n’était pas vraiment clair pour moi. Fabien en était-il
               le propriétaire ? Trop de non-dits et d’incertitudes ternissaient les débuts de cette relation et
               m’empêchaient  de  m’épanouir  sereinement.  Cette  ambiance  de  plus  en  plus  délétère,
               entretenue  de  mensonges  par  omission  de  sa  part,  de  mystères  que  je  n’avais  pas  encore
               élucidés,  sapait  ma  confiance  et  ma  tranquillité  d’esprit.  Allais-je  l’endurer  longtemps,  en
               faire les frais tout au long de ma liaison avec ce garçon bien né mais peu clair ? Dans un
               premier temps, après réflexion, je dénichai à Arpajon, à environ une trentaine de kilomètres
               de Paris, une petite maison ancienne, manoir en miniature recouvert de lierre. Ironie du sort,
               ce douillet nid d’amour se trouvait sans que je le sache tout près de l’imposante demeure des
               parents de Fabien, une  grande maison de maître d’un tout autre standing que la nôtre : un

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