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   EN JAZZANT – Par Stanley Péan
 John Coltrane – 1963
JOHN COLTRANE
Both Directions at Once : The Lost Album [ Deluxe Edition ]
Impulse ! / Verve Music Group, 6749299
Le printemps dernier, journalistes spéciali- sés, fanatiques de jazz et inconditionnels de John Coltrane accueillaient avec fébrilité l’annonce de la parution d’un inédit du saxo- phoniste suprême, oublié dans une voûte de- puis plus de cinquante ans. Dans sa préface, le saxophoniste Sonny Rollins, ami de Col- trane, comparait la découverte de ces enre- gistrements à celle d’une nouvelle salle dans la Grande Pyramide, métaphore à laquelle bien des médias ont fait écho. Sorti le 29 juin, l’opus est le fruit d’une séance qui eut lieu le 6 mars 1963, dont furent tirées les bandes maîtresses qui auraient été détruites au dé- but des années 1970. Heureusement, John Coltrane avait confié à son épouse Naima une copie-témoin des bandes, en dépit des ennuis conjugaux qui les mèneraient bien- tôt au divorce. Ainsi le retrouve-t-on ici à la tête du quatuor classique, avec lequel il avait réalisé quelques incontournables (nommé- ment Coltrane, puis Ballads en 1962), et ne tarderait pas à graver son œuvre maîtresse (A 60 mag@zine TeD I 25 - 05
Photo de : Philippe Gras, Le Pictorium
Love Supreme en 1964), dont McCoy Tyner (moins constant que d’habitude) au piano, Jimmy Garrison à la contrebasse et Elvin Jones à la batterie.
À son entrée dans l’écurie Impulse ! en 1961, Coltrane avait renoncé aux mouvements harmoniques brusques qui caractérisaient sa musique jusqu’alors, à la faveur d’improvi- sations modales de longue haleine, influen- cées par les musiques de l’Afrique du Nord et de l’Extrême-Orient. Aussi exigeante que puisse sembler cette approche à l’oreille non initiée, certainement à l’époque et parfois même encore aujourd’hui, le saxophoniste avait néanmoins fréquenté les sommets des palmarès avec son album My Favorite Things (Atlantic, 1960), dont la plage-titre – vigoureuse transformation d’un aria de la comédie musicale The Sound of Music en une sorte de danse derviche orientale invitant à la transe – avait beaucoup tourné à la radio.
Ces inédits donnent à entendre un Coltrane à la croisée des chemins, tour à tour artiste à succès, dont la nouvelle maison de disques espère des œuvres commercialisables, et aventurier de terras incognitas musicales à qui trouvailles, innovations et ferveur conféreront bientôt un statut de prophète, une aura de sainteté. Avant de graver Both Directions at Once, Coltrane avait enrichi le catalogue Impulse ! d’une œuvre tout à fait grand public née de sa rencontre au sommet avec une éminence grise du jazz classique (Duke Ellington & John Coltrane, 1963). Le lendemain de la séance inédite, le 7 mars 1963, il retournerait en studio avec un croo- ner dont la carrière allait du coup prendre un
nouvel essor (John Coltrane and Johnny Hart- man, 1963).
Au programme de Both Directions at Once, sept morceaux (l’édition Deluxe présente autant d’autres prises) dont les standards Nature Boy (associé à Nat King Cole) et Vilia (emprunté à la comédie musicale The Merry Widow, sortie sur les écrans en 1934) et cinq compositions du leader. Le quartet revisite, entre autres, Impressions, enregis- tré déjà à deux occasions, devant public et en studio, mais à l’époque encore inédit sur disque, ainsi que One Up, One Down, dont on ne connaissait jusqu’à maintenant que l’interprétation captée lors d’un concert du printemps 1965. Cette version ultérieure, d’une durée d’une demi-heure, donnait son titre à un précédent album posthume, Live at the Half Note : One Up, One Down (Impulse !, 2005). Quoique l’Untitled Original 11386 atteigne par moments des sommets d’exal- tation comparables au meilleur et au plus inspiré de Coltrane, la pièce de résistance demeure (à ces oreilles-ci, du moins) le Slow Blues qui évoque volontiers Out of This World (sur Coltrane, Impulse !, 1962).
Comme l’a fait le saxophoniste québécois Samuel Blais commentant à la radio cet inédit, on peut certes contester la décision tout à fait mercantile de faire paraître une œuvre que le saxophoniste n’avait pas choisi d’offrir à son public il y a un demi-siècle. Mais l’artiste s’étant éteint si peu de temps après cette séance (tout juste trois ans plus tard, à l’été 1967), rien ne permet d’affirmer que sa maison de disques et lui n’auraient pas éventuellement publié ces pistes. En défini- tive, même si nul ne classerait ce disque au rayon des indispensables de Coltrane, Both Direction at Once n’est pas dénué d’intérêt, ne serait-ce que pour le plaisir de réentendre une des formations les plus importantes du jazz moderne sur des thèmes pour la plupart inconnus...
BUDDY GUY
The Blues is Alive and Well Silvertone RCA, 19075-81247-2
La mission de Buddy Guy Keep the Blues Alive (garder le blues vivant), le faire rayonner, se poursuit inlassablement depuis plusieurs années. Tout comme c’était aussi le cas pour BB King, c’est son cri du cœur pour cette musique chevillée à son corps, chevillée à son âme, probablement même avant sa naissance. C’est qu’il connaît cette musique, dans son cœur, dans ses tripes, trop souvent ignorée, bafouée, mise de côté, notamment dans les radios commerciales, alors que c’est une musique de racines majeure, fondatrice de la musique populaire des États-Unis.
Quand j’ai rencontré et interviewé Buddy Guy, puis BB King, c’est le discours central et fondamental qu’ils m’ont tous les deux servi. Avec The Blues is Alive and Well, Buddy Guy poursuit avec ses standards d’excellence et de qualité auxquels il nous a habitués. En une dizaine d’années, c’est son sixième album réalisé par le réputé Tom Hambridge. Celui- ci et son équipe de collaborateurs écrivent la majorité des chansons, Buddy Guy n’ayant contribué qu’à deux des quinze titres de l’al- bum. Les hauts standards de qualité, à tous points de vue, se maintiennent et des invités prestigieux y laissent leurs empreintes, soit Mick Jagger, Keith Richards, Jeff Beck et James Bay. Buddy Guy, comme tou- jours, est dans une forme musicale et vocale flamboyante. Il représente un chaînon vivant majeur entre la tradition de guitare blues du Sud et celle du rock moderne, entre Robert Johnson, Muddy Waters et Jimi Hendrix et consorts... The Blues is Alive and Well est une autre page d’histoire actualisée de la musique populaire moderne trempée dans le blues des racines et enflammée par un jeu de guitare passionné. A-t-on vraiment besoin de détailler le style et les qualités de Buddy Guy? Aux amateurs et aux néophytes du genre de déguster, savourer et apprécier ! Bonne écoute !
RIOT AND THE BLUES DEVILS
The Roxboro Sessions
Auto Production
Quand je pense à Riot and the Blues Devils, les mots intensité, chant et guitares exprimés avec les tripes viennent tout de suite en tête de liste. Pour cet album, le trio tissé serré et synergique, Riot, guitares et voix, Big Papa Mike, basse, et Mark Di Claudio, batterie, s’est adjoint les services d’André Chrétien aux claviers, ce qui ajoute des dimensions d’ambiance au son solide et
   EN BLUESANT Par Pierre Jobin













































































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