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Deuxième question, celle d’un phénomène de résistance à la vaccination qui émanerait d’une tendance profonde du département de l’Ardèche, de sa population passée et actuelle à résister à toute forme de « domination » ou de pouvoir. En quelque sorte, si on comprend bien l’auteur, une hérédité (?), au moins un atavisme, qui expliqueraient l’attitude des Ardéchois, aujourd’hui, vis-à-vis de la vaccination. La tentation est forte mais le raisonnement paraît un peu court, en tout cas dans le cadre d’une thèse universitaire suivie d’un article publié dans l’un des plus grands quotidiens français.
Il y a là semble-t-il confusion entre une « Résistance » au nom des droits de l’homme et d’une défense des intérêts légitimes d’une population et « résistance » devant un progrès, ici progrès sur le plan de la santé.
La Résistance des Ardéchois qui, aux XVIIe et XVIIIe siècles ont choisi les thèses de Luther, et très vite le calvinisme, est née pour l’essentiel de la répression conduite par le pouvoir central dans une société où la pensée unique était de règle. La révolte de Roure de 1670 est, en un temps de grande pauvreté, une révolte à caractère scal contre les abus des fermiers généraux, les « élus », chargés de lever l’impôt. Dans les deux cas le roi et la monarchie n’étaient pas eux-mêmes mis directement en cause. La guerre des camisards pour sa part s’est essentiellement déroulée en terre d’Uzège, aujourd’hui le Gard, pour des raisons comparables à la Résistance des protestants des Boutières. Quant « aux maquis de refuge et d’action durant la Seconde Guerre mondiale », leur existence est pour l’Ardèche la preuve de son engagement contre l’occupation de la France par un pays étranger et contre un Etat complice...
Par contre on démontrera facilement combien l’Ardèche ancien Vivarais a su accueillir bien des idées nouvelles ou les développer par elle-même. Et d’abord sur le domaine de la santé avec, justement, la vaccination ! Le docteur Duret (1758-1841), à Annonay, n’a-t-il pas été parmi les tous premiers en France à introduire et utiliser la vaccine à la suite de Jenner (1796), tandis que le docteur Madier (1737- ? ), de Bourg-Saint- Andéol, utilisait déjà selon ses propres mots « la méthode de l’inoculation » pour combattre la petite vérole (la variole) autour des années 1780 (7) ? Le Professeur Ollier (1830-1900), originaire des Vans, est reconnu aujourd’hui comme le pionnier de la chirurgie
orthopédique moderne. En d’autres domaines la liste des inventions et innovations, preuves d’une ouverture au Monde, est longue avec des gures de proue : dans l’agriculture Olivier de Serres, dans l’industrie les manufacturiers d’Aubenas et le développement des moulinages ou Marc Seguin et les frères Montgol er à Annonay. Lourd héritage en effet !
Mais sont mises encore en avant dans le même article d’autres raisons à cette « résistance », tout aussi contes- tables ou dont l’Ardèche n’a pas le privilège. Le manque de médecins est cité car « c’est en effet une gageure de s’installer dans certains territoires qui cumulent les fardeaux d’une population et d’une démographie médi- cale vieillissantes et d’importantes contraintes de mo- bilité auxquelles concourt un réseau routier sinueux » ! La déserti cation médicale n’est malheureusement pas l’apanage de l’Ardèche qui a tout de même enregis- tré depuis 2006 l’installation de trente et un médecins dans ses différents centres urbains et bourgs ruraux. Une déserti cation médicale qui inquiète partout bien des maires et des conseils départementaux amenés à in- tervenir avec leurs faibles moyens (bourses, aides aux stages en milieu rural...) là où l’Etat demeure par trop inactif. Et pourtant autant de responsables politiques qui se voient mis en responsabilité : « L’inertie des élus politiques, locaux comme régionaux, sur les questions de vaccination n’aidant pas, une partie de la popula- tion ardéchoise est donc laissée seule face à sa convic- tion que la vaccination est inutile, voire dangereuse ».
Le travail de recherche présenté par Lucie Guinier aurait pu passer inaperçu auprès du grand public s’il n’avait été relayé par Le Monde et autres médias. Au- delà de son contenu et des articles publiés ce qui mérite d’être relevé c’est une fois de plus cette propension à présenter l’Ardèche comme l’exemple, en France, d’une nature « majestueuse », certes, mais « sauvage » et - y a-t-il relation ? - peuplée d’habitants réfractaires à tout progrès ou portés vers des modes de vie hors norme.
On regrette qu’une recherche conduite en milieu universitaire et aux conclusions « déontologiquement incorrectes » ait pu donner lieu à une telle forme de médiatisation (8).
Pierre LADET
7. Etienne Madier, in Mémoires de la Société de Médecine, p. 142. Communication de Jean-Louis Issartel.
8. Le candidat ou la candidate au titre de docteur de l’Université présente un mémoire tout d’abord évalué par deux rapporteurs avant d’être soutenu, si l’avis des rapporteurs est positif, devant un jury réuni pour ses compétences dans le domaine...
141 Cahier de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent n°139, 2018