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comme témoins d’une « résistance » endogène « la percée du protestantisme au XVIe siècle », la révolte de Roure de 1670, la guerre des camisards « et plus récemment les maquis de refuge et d’action durant la Seconde Guerre mondiale ». Jean Ferrat et Renaud étaient eux aussi cités pour avoir « ravivé la mémoire de ces lieux de résistance ». Poursuivant sa démons- tration, l’auteur voyait là la manifestation du refus de se soumettre à « des formes de domination : les labo- ratoires pharmaceutiques, symboles du capitalisme in- dustriel, l’Etat qui impose des vaccinations à ses sujets et la corporation médicale paternaliste » ... Visés, au premier chef, les néo-ruraux mais aussi pêle-mêle des « gens conspirationnistes, catholiques, et qui votent Front national » ou « écologistes radicaux ». N’étaient pas épargnés les élus pour leur « inertie ».
Le Dauphiné libéré du 23 octobre reprenait les mêmes termes dans son édition Ardèche avec une interview de Lucie Guimier (3).
Didier Picheral, membre du Conseil d’Administration de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent, exprimait ici même dans un numéro précédent des Cahiers son étonnement devant une démonstration qu’il quali ait de « déontologiquement peu correcte ».
Pourquoi cette « résistance » ?
L’extension de la maladie au cours de ces derniers mois et les données récentes la concernant nous incitent à revenir sur le sujet, surtout sur l’argumentation déve- loppée dans les colonnes du Monde et ailleurs, sur la méthode d’investigation utilisée et sur les raisons don- nées par l’auteur à cette « résistance » des Ardéchois.
Concernant tout d’abord le « vaccino-scepticisme » ardéchois, il est vrai que certaines régions du département ou certaines catégories de la population peuvent présenter une réticence devant la vaccination en Ardèche comme dans d’autres départements ou régions, davantage peut-être. Mais l’étude conduite par Lucie Guimier dans le département a porté sur une partie de la population socialement mal quali ée, sinon par le terme « néo-rural » qui recouvre désormais bien des situations différentes, sur une région limitée, le « sud Ardèche » (qui plus est éloignée d’Ardoix) et non
sur une population représentative du département dans son ensemble comme aurait pu le faire n’importe quel institut de sondage. Erreur de méthode qui empêche de conclure avec précision sur un refus ardéchois généralisé de se « soumettre ».
Mais qu’en est-il de la couverture vaccinale de ce département comparée à la moyenne nationale et à d’autres départements ? La moyenne nationale (France métroplolitaine) est, selon les derniers chiffres disponibles, de 90% à une dose et de 79% (4) à deux doses (rappel). En Ardèche les chiffres de 2015 indiquent un retard avec 85,5% pour une dose, et surtout 71,2% pour deux doses (5). Des pourcentages que l’on retrouve dans la Drôme avec respectivement 86,1% et seulement 66,6% ou plus bas encore dans les Hautes-Alpes avec 85,2% et 61,9% et dans les Alpes de Haute-Provence avec 82,9% et 50,3%. Le sud de la France montre une faiblesse générale dans bien des départements surtout si l’on considère le rappel (deuxième dose) de la vaccination ROR, quelque peu « oublié » (6). C’est ainsi que les vingt- neuf départements situés au sud de Lyon (Corse non considérée) af chent des taux de couverture vaccinale moyen de 87,6% (une dose) et de 74,4% (deux doses). L’Ardèche se situe encore au-dessous de ces moyennes mais seulement à 2,1%, respectivement 3,2%.
Cependant le constat est là : le département de l’Ardèche est parmi les départements où le taux de couverture vaccinale est le plus bas. Ce n’est pas le seul et le département pour autant demeure au jour d’aujourd’hui éloigné d’une contagion majeure comme certains départements a priori mieux couverts.
L’Ardèche n’est donc pas l’exemple type et le départe- ment à mettre à l’index même si, bien sûr, la couverture vaccinale ROR doit faire l’objet d’une attention soute- nue si l’on souhaite, ici comme ailleurs, voir la rougeo- le disparaître de la même manière que la typhoïde ou la poliomyélite. Il apparaît, par contre, que des études moins super cielles, plus approfondies que celle citée ici soient nécessaires sur le territoire français et sans doute au-delà pour cerner causes et conséquences de la maladie avec prise en compte d’autres critères que la seule couverture vaccinale. Le cas de la Gironde pose en effet question de ce point de vue.
3. D’autres médias se sont fait l’écho des mêmes observations. En décembre 2017, la chaîne de télévision France 2 se déplaçait et diffusait le 22 du mois un reportage qui ouvrait par ses mots quali ants : « Loin, très loin des grandes villes, niché dans une nature sauvage et majestueuse, le canton des Vans, 2 800 habitants qui cultivent un art de vivre proche de la nature et pour certains une résistance farouche aux vaccins. Aux Vans, une maladie que l’on croyait disparue a ressurgie : la rougeole. C’était il y a six ans une épidémie qui se déclenche en France : 23 000 cas, 10 décès mais pour le seul canton des Vans il y eut 84 malades... ». La question centrale était alors, bien sûr : « Pourquoi l’Ardèche fait de la résistance aux vaccins ? ».
4. Contre 71% en 2010 : il y a donc progrès au plan national. On note un pourcentage plus important chez les enfants de moins de 2 ans en même temps qu’une augmentation des atteintes de la maladie auprès de sujets plus âgés voire adultes avec parfois des conséquences plus sévères.
5. Le seul chiffre donné par Lucie Guimier dans son article du Monde est celui de la deuxième dose qu’elle estime comme étant inférieur de 10%, pourcentage arrondi, à la moyenne nationale. On remarque que la différence est de 4,5% pour la première dose.
Cahier de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent n°139, 2018 140
6. La Gironde, aujourd’hui très touchée par l’épidémie, af che pourtant des taux au-dessus de la moyenne nationale avec 91% et 80,3%. On ne remettra pas en cause pour autant l’intérêt de la vaccination, on ne dé nira pas non plus de relation directe entre un taux de couverture, comme unique raison, et présence ou absence de la maladie ; il conviendrait de chercher ailleurs les raisons du pic atteint dans le Bordelais même si le corps médical s’attache au seul seuil de 95% comme la panacée.