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édition ardéchoise du journal de l’Action Catholique de la Jeunesse Française dont il fait partie.
« perdre » les détails très nombreux qu’il donne. Le style, avec des descriptions extrêmement détaillées, est du type des reportages des correspondants de guerre qui permet d’imaginer, de « voir » les situations, de ressentir les émotions.
Louis est né en 1890 à La Souche, il résidera aux Salelles dont son père est le maire. Il poursuit ses études au séminaire d’Aubenas, sera surveillant à la Maîtrise. Il est appelé au régiment en 1911, revient en 1913, il est mobilisé onze mois après son retour.
Il s’arrête brutalement en juin 1915 alors qu’il est tué un an après, en octobre 1916.
Incorporé dans le 23ème bataillon de Chasseurs, il quitte Nice le 11 août 1914. Il sera blessé à la cuisse le 6 mars 1915 au Reichakerkopf. Il disparaît le 5 octobre 1916 à Rancourt dans la Somme.
On peut supposer qu’il a déposé ce premier carnet en sûreté et qu’il a dû continuer son récit sur un deuxième carnet qui ne nous est pas parvenu.
Les « Notes diverses sur la guerre » qu’il nous a laissées ne sont pas un journal mais un récit organisé en chapitres. Un récit rédigé à partir de notes prises au jour le jour, sans doute très régulièrement pour ne pas
« ... Nous repartîmes bientôt et arrivâmes au col de la Schlucht... Il y avait la douane française. Le poteau frontière, aujourd’hui enlevé, était là aussi. La maison où était quelques soldats avait reçu beaucoup d’obus car ce lieu était le passage obligé de bien des choses... Il était aussi dangereux. La pente était allemande mais était souvent balayée par les obus ou les mitrailleuses allemandes placées en face. Aussi passâmes-nous avec précaution par groupe de dix. Nous ne fûmes pas bom- bardés. On marcha sur la pente qui était bien nue... On marcha longtemps encore sur les pentes boisées. De nombreux trous d’obus de gros calibre se voyaient par là. Nous nous arrêtâmes près d’une batterie de 75 qui tirait de temps en temps. Puis marchant encore dans des sentiers sous-bois et très raides on s’arrêta à un en- droit où on mangea quelques conserves et où on re- çut assez près quelques obus. Il n’y eût pas de blessés. On se mit à grimper la côte : elle était très dure et très longue... On s’arrêta quelquefois mais on n’en pou- vait plus. Nous nous trompâmes de chemin une fois et continuâmes à courir. Il pouvait être dix heures du soir quand nous arrivâmes dans un bois de sapins. La neige était très abondante et le froid très vif... On n’eût pas la force de rien manger et épuisé au dernier degré je m’assoupis sous un arbre dans la neige sous la bise gla- ciale et parvins à dormir un peu ! Je ne sais comment je ne mourus pas de froid. J’eus l’impression que je ne m’en sortirai plus tant je me sentais dans un lieu dif - cile... J’étais très mal à l’aise. Il fallait vraiment qu’une cause que certains appellent chance mais que j’appelle miracle me soutienne ! Quelques soldats des batteries alpines étaient avec nous. Quoique nous eûmes peu pour manger car nous avions même  ni nos vivres de réserve nous partageâmes avec eux nos vivres. Nous nous mîmes au travail le lendemain pour creuser un trou dans la neige et la terre qui pût nous servir d’abri. On n’avait que de mauvais outils portatifs. Aussi nous peinâmes beaucoup, on coupa des arbres : on prépara des branchages qu’on recouvrit de terre et dans un trou de 1 mètre de haut semblable à un autre on  t un salon
Cahier de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent n°139, 2018
L’extrait publié est un des passages les plus prenants de ce récit.
Cet extrait commence le 24 février 1915 à la bataille du Reichakerkopf et se termine le 10 mars 1915 à l’arrivée à l’hôpital de Chambéry :
et une chambre à coucher un peu humide et obscure mais meilleure que le plein air. Un trou laissé servait de porte et de fenêtre. Un manteau déplié servait à la fois de rideau et de porte, c’était assez simple. Il pleuvait là-dedans à peu près comme dehors mais on se couvrait comme on pouvait et serrés les uns contre les autres on tâchait de se réchauffer. Si on ne le pouvait pas on faisait comme je  s six jours de suite, on restait les pieds froids nuit et jour... Nous allâmes un jour cinq ou six en reconnaissance dans un endroit fort en vue où il y avait une petite bergerie. Aperçus, on nous envoya une dizaine de petits obus qui nous manquèrent et dont quatre n’explosèrent pas à cause de l’épaisse couche de neige... Des traîneaux avaient été amenés car le ra- vitaillement ne pouvait se faire que fort dif cilement et à dos de mulets. Le froid était très vif. Nous eûmes un jour la visite d’un général : “Comment se peut-il que de pauvres hommes aient la force de vivre dans un pareil pays et dans de telles conditions” s’écria-t-il. Celui-là du moins le reconnaissait. Je souffrais beau- coup des pieds. On allait prendre les tranchées. Elles étaient quelques-unes des moins bien placées et assez éloignées des Boches. 2 ou 300 mètres peut-être. Les obus arrivaient dur mais ne faisaient pas grand mal au fond. Les mitrailleuses étaient plus dangereuses... On nous distribua des chaussons car on avait tant besoin. Mes pieds saignaient et me faisaient souffrir cruelle- ment. Dans la tranchée il faisait un temps à tout tuer. 400 morts étaient enterrés entre nous et les Allemands. Un camarade à qui on disait de venir car on venait le relever était mort de froid. Le vent remplissant les tranchées de neige ne laissait apparaître que la tête des hommes dont les cils, les habits, la barbe etc. n’étaient que de la glace et leur donnaient un aspect tellement ef- frayant que je renonce à en donner une idée. Les aéros boches venaient tous les jours... Il n’y eût que quelques blessés mais on crût bon cependant de changer de place et on alla refaire nos antres ailleurs. Je fus un soir por- ter la soupe à quelque distance des Boches à quelques hommes d’un petit poste avancé. L’endroit était fort pé-
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