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rilleux, entre les deux tranchées ennemies. La neige qui couvrait le sol me rendait encore plus visible. Je pus faire ma course et revenir sans être blessé... mais certes je ne sais comment cela se t car le bois en face de moi était plein de Boches. On s’attendait chaque jour à aller faire une attaque ce qui arriva en effet...
On causait beaucoup de cela. Dans la nuit du 4 au 5 l’ennemi bombarda beaucoup pour empêcher peut- être des rassemblements. Le vendredi 5 il y eut alerte et à minuit on se leva. On laissa son sac dans notre lieu de repos et on prit que ses cartouches, son manteau en bandoulière et deux petits sacs qui, remplis de terre, servaient à faire un abri. Les outils portatifs n’étaient pas non plus oubliés. On partit donc dans la nuit et l’obscurité de la forêt. On préparait des ls téléphoni- ques. Il y avait assez de neige et il pleuvait un peu. On rencontrait dans les bois quelques abris souterrains. On marcha à peu près deux heures dans la direction de la ferme des Sautel en arrière de laquelle était un bois oc- cupé par les Allemands. On plaça les mitrailleuses. On rencontra des batteries alpines et de nombreuses cais- ses d’obus. Elles étaient sur une pente et d’assez facile défense. Vers les onze heures une canonnade intense commença de notre côté ; les batteries françaises voi- sines faisaient rage et pen-
dant un gros quart d’heure
préparèrent l’attaque avec
un bruit assourdissant...
L’heure est venue de l’at-
taque, qui sera la dernière
pour beaucoup d’entre
nous. Les obus allemands
de gros calibre répondent
et sif ent nombreux, très
nombreux faisant dans la
forêt un vacarme d’enfer
et arrosant abondamment
le lieu où nous allions al-
ler. Nous écoutons ce bruit
plein d’émotion car ce qui
va se passer sera à coup sûr
terrible. Voici que la canon-
nade cesse un peu de notre
côté mais redouble d’inten-
sité du côté allemand. En avant ! Il faut avancer. Tous ont baïonnette au canon. On attend. On sort des tran- chées et on attaque ! Les marmites de gros calibre tom- bent partout spécialement vers le col du Sattel avec un bruit et un nombre effrayant. Quelques-uns sont bles- sés mais à vrai dire les morts sont assez rares encore. Nous descendons dans le creux que forme la position en haut de laquelle sont les Allemands. Nous voyons au bord des chemins ou dissimulés les ls de fer au haut desquels est attachée une sonnette qui, dès que le l est touché sonne dans la tranchée ennemie. Les balles sif ent nombreuses et les obus font rage. Nous avançons par bonds. Nous nous arrêtons un peu dans un abri sommaire car les marmites arrivent près... Mon sergent, devant moi, à trois mètres, a le pied traversé et se retire. Des éclats d’obus plus ou moins volumineux tombent par-ci, par-là. On se cache de son mieux. J’es-
saie après une pause où j’ai repris un peu haleine de grimper un peu mieux les pentes du mamelon mais en haut, à deux ou trois cents mètres, une mitrailleuse al- lemande dissimulée qui me voit m’envoie une trentaine de balles dont l’une me traverse trois fois le pantalon en ne me faisant qu’une légère blessure. Je me cou- che un moment car je vois qu’on n’a pas l’intention de me caresser par là ! Je sors peu après mais ne reçois plus de balles. La mitrailleuse doit avoir reculé. J’ar- rive près des ls de fer barbelés ; comme ils sont bien placés et nombreux, une vraie dentelle ! Chaque arbre de l’épaisse forêt sert de piquet excellent qui, entouré de plusieurs tours tient solidement. L’artillerie a coupé quelques-uns de ces ls, auxquels pendent des boites de fer nombreuses etc., mais combien il en reste en- core. Les balles arrivent toujours et je n’en sens aucune qui me touche. Je pense cependant que ce doit être par là que la molletière droite fut de nouveau percée par une balle qui ne me t que frôler la peau. Je vis cela plus tard mais après les ls il y avait autre chose : la pente d’abord ; puis les sapins épais à travers lesquels le passage était impossible ou presque. Mais un autre système de défense que j’avais déjà vu près des forts avait été employé : c’était les longs arbres coupés. Les Allemands sciaient les sapins à un mètre environ du sol
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Cahier de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent n°139, 2018
en ayant soin de laisser tenir le tronc et de ne couper aucune branche. Cette opération faite sur une grande largeur forme une dif culté réelle pour l’assaillant et, comme je le constatais aisément, on ne peut avancer facilement là-dedans. Nous dépassâmes cependant tous les réseaux et arrivâmes peu à peu sur la crête du ma- melon pendant que les obus arrivaient de plus en plus nombreux. Nous aperçûmes les tranchées allemandes. Elles étaient fort bien faites : des arbres en long, l’un sur l’autre, de nombreux abris couverts. Des travaux de toutes sortes. Les mitrailleuses changeaient souvent de place et crachaient dur. Les Boches avaient par force abandonné... La pluie s’était mise à tomber. Je me cou- chai à l’abri dans la tranchée boche descendant de temps en temps quelques fuyards. La capote abandonnée que je trouvai près de moi me servit de bon imperméable et je m’enroulai les jambes dans une couverture de laine