Page 41 - Revue 3 A_Neat
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« Je dépose mon âme à l’extérieur de moi », avait dit le poète, qui s’était imposé comme
devise de « tout sentir, de toutes les manières ».
J’en viens (je ne suis certainement pas le seul) à me demander si ce besoin irrésistible
de multiplier ses hétéronymes, auteurs autonomes, ne serait que la réponse de Pessoa
à cette course effrénée vers un état limite d’autosuffisance, condition indispensable
au bonheur, un bonheur qui ne pourrait être qu’ailleurs.
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Quelques citations marquantes de Fernando Pessoa :
« Nous n’aimons jamais vraiment quelqu’un. Nous aimons uniquement l’idée que nous nous
faisons de ce quelqu’un. Ce que nous aimons, c’est un concept forgé par nous – et en fin de compte,
c’est nous-mêmes. »
« La solitude me désespère ; la compagnie des autres me pèse. »
« La vie se ramène pour nous à ce que nous pouvons en concevoir. Aux yeux du paysan, pour
lequel son champ est tout au monde, ce champ est un empire. Aux yeux de César, pour qui son
empire est encore peu de chose, cet empire n’est qu’un champ. Le pauvre possède un empire ; le
puissant possède un champ. En fait, nous ne possédons jamais que nos impressions ; c’est donc sur 40
elles, et non sur ce qu’elles perçoivent, que nous devons fonder la réalité de notre existence. »
« L’art consiste à faire éprouver aux autres ce que nous éprouvons. […] L’art consiste à
communiquer aux autres notre identité profonde avec eux, identité sans laquelle il n’y a ni moyen
de communiquer, ni besoin de le faire. »
« La littérature est la preuve que la vie ne suffit pas. »
« Quel autre serais-je aujourd’hui, si l’on m’avait donné cette tendresse qui vient du fond du
ventre, et qui monte jusqu’aux baisers posés sur un petit visage ? »
« Parfois je songe, avec une volupté triste, que si un jour, dans un avenir auquel je n’appartiendrai
plus, ces pages que j’écris connaissent les louanges, j’aurai enfin quelqu’un qui me « comprenne »,
une vraie famille où je puisse naître et être aimé. Mais, bien loin d’y naître, je serai mort depuis
longtemps. Je ne serai compris qu’en effigie, quand l’affection ne pourra plus compenser la
désaffection que j’ai seule rencontrée de mon vivant. »