Page 44 - Revue 3 A_Neat
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Le chien continue sa marche, truffe contre les herbes du talus cherchant à identifier les
traces qu’il découvre.
C’est le début du printemps, les lilas de la haie sont en fleurs et les grappes mauves
exhalent leur doucereuse haleine, mêlée au parfum des fleurs de pommier. C’est un
enchantement pour le promeneur qui sent la vie et le renouveau poindre à chaque pas.
Le voici arrivé auprès de la mare. Une poule d’eau, tranquille, queue blanche et bec
rouge, nage vers l’abri des branchages. Le chien qui n’a rien décelé, continue son
exploration des fossés. La surface de l’eau est brillante et les vapeurs de la nuit s’élèvent
en petits filaments, piquetant le miroir comme les touches d’un peintre impressionniste.
Voici nos marcheurs revenus vers le village, le chien est perdu. Il ne reconnaît pas la
maison de son amie épagneule, où tous les matins il s’arrête et l’attend. Il se retourne et
cherche son maître des yeux, ne sachant vers quelle ruelle se diriger. « Allez, viens, c’est
par ici », s’exclame l’homme en tirant doucement sur la longe. Le chien obéit mais n’est
pas content, il voulait prendre la première voie. Le chemin choisi est bordé d’herbes
folles qui lui chatouillent le nez. Un chat noir traverse de son pas calme, en gardant ses
distances. Ils arrivent près de la ferme où d’autres chats se détendent tranquillement.
C’est un fouillis indescriptible. Des ronces ont pris possession des abords du chemin,
cachant en leurs épines toutes sortes d’objets devenus inutiles. On découvre les restes
d’une porte en bois, des grilles rongées par la rouille, et le vieux mur de l’étable qui
s’effondre. A côté, un tas de branchages hétéroclites s’amoncelle. Cela fait des années
que ces témoignages stagnent. C’est l’envers du décor, où le décor même. Ronces, herbes
sauvages et rampantes s’entrelacent et font un effort désespéré pour cacher le manque
d’ordre. La maison n’est pas pimpante et le gris de son revêtement s’effiloche. Pourtant
l’activité agricole n’est pas abandonnée et les produits de la ferme se retrouvent dans les
43 boutiques des environs. Les chevaux qui broutent dans le pré ont reconnu le chien et
s’approchent de la clôture. Vis-à-vis, sur le perron de la maison-pavillon à la pelouse
impécable, se prélasse un gros chat noir et blanc. Devant celui-ci une mare s’est
transformée en bassin d’agrément bordé de roseaux. Le contraste rappelle à notre
promeneur toute la diversité des mentalités. Pour lui, ces deux facettes sont tellement
incrustées dans son quotidien qu’il ne désire aucun changement. Ce sont ses repères, ses
étapes rituelles lors de la promenade, comme pour le chien les odeurs. Ils communient
tous les deux dans cette sortie, parfois dans la liesse comme ce matin riche de détails,
parfois dans l’amertume quand le temps est à la pluie et au frimas. Quelle que soit la
saison, le chien demande sa balade, et le maître obéit.