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L’apparition du phénomène reLigieux
ces gestes rituels rassurants en garantissaient la pérennité, la
rendaient tangible et faisaient voir que l’homme échappe aux
lois de la nature, même au-delà de son décès. Ces dispositions
rituelles prouvent l’existence d’une réflexion quant à la place
de l’homme dans la création. Les humains suivent une voie dis-
tincte, guidés par l’esprit, et lancent des défis à leur nature :
dans la vie par la chasse, dans la mort par l’ensevelissement.
À ce stade du Paléolithique moyen, entre 100 000 et 40 000 ans,
les « images » restent matérielles : bois de cerf, encornures de
bovidés, mandibules, elles se réfèrent à l’animalité mais sous
une forme directe : le trophée. Et leur signification fut donnée
par leur situation contextuelle, en association avec les défunts.
Pour accomplir tous ces rites, il fallait disposer d’aptitudes
à l’abstraction et donc utiliser une communication conceptua-
lisée. Les modes de chasse, l’organisation de l’habitat, l’élabo-
ration des techniques et la permanence des rites attestent une
pensée élaborée dont le langage était le support. Les valeurs
et les traditions devaient être véhiculées par les voies du récit
oral. Cette oralité stricte, à laquelle tiennent la plupart des
peuples traditionnels, ne laisse malheureusement guère de
traces matérielles. Seules les ombres de leurs mythes trans-
percent l’opacité archéologique. La puissance de la pensée
technique, attestée par l’archéologie, impose l’idée d’équiva-
lence dans l’élaboration de la pensée mythique. Mais de celle-ci 68
ne surgissent çà et là que des témoignages, matériels et muets.
L’image comme emprise sur le monde
Avec le Paléolithique supérieur, il y a 40 000 ans environ,
le monde du mythe « explose » tout à coup, sous la forme
d’images, artificielles cette fois, belles et troublantes, dispo-
sées au fond de grottes sanctuaires où leurs agencements se
déploient. Par cette nouvelle emprise, l’homme s’attaque alors
à la nature du mythe en lui donnant une consistance visuelle,
désormais mise à son service et perpétuelle. La nature du
monde y est spirituellement maîtrisée via sa représentation.
Pour nous, cette articulation devient évidente et nous restons
fascinés par l’effet émotionnel que ces harmonies suscitent.
Pour les hommes de la préhistoire, l’image dessinée sur les
parois des grottes fut un moyen de donner vie à l’invisible et
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