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Paris, Ministère de la Santé – 13 Juin – 16h48



           Le Ministre, non sans une certaine satisfaction et un plaisir non dissimulé
        avait  regagné  immédiatement  son  bureau  à  l’issue  du  rendez-vous  avec  le
        conseiller en communication de l’Elysée. Il aimait bien le confort douillet de
        celui-ci lui donnant un semblant de préservation, de protection à l’égard du
        monde environnant. Ce n’était pas là le moindre de ses paradoxes dans la
        mesure où en tant qu’homme politique il aurait dû assez logiquement aimer le
        contact avec le public alors qu’au fond de lui-même il ne rêvait que d’une vie
        quasi  ascétique.  Très  jeune,  il  lui  avait  fallu  suivre  la  voie  du  père,  tracée,
        balisée, dénuée de toute possibilité d’une éventuelle « sortie de route ». Cela
        avait d’abord été la médecine pour pouvoir intégrer puis diriger beaucoup plus
        tard  la  clinique  privée  du  père.  Une  période  laborieuse  qui  s’était  vue
        finalement sanctionnée d’un diplôme obtenu in extremis dans des conditions
        qu’il n’avait jamais voulu vraiment connaître de peur sans doute de découvrir
        l’omniprésence  patriarcale  à  l’égard  des  examinateurs.  Puis  lorsqu’il  eut
        quarante-cinq ans il avait repris le fauteuil de député de son paternel dans une
        circonscription taillée à sa mesure. Rien de flamboyant se morigénait-il parfois
        dans une existence vouée à suivre bien sagement la trace de celui qui prenait
        encore tant de place.
           C’est  la  raison  pour  laquelle,  il  devait  honnêtement  se  l’avouer,  il  avait
        sauté  immédiatement  ce  matin  même  sur  l’occasion  qui  lui  était  donnée
        d’intervenir de sa propre initiative lorsqu’on l’avait appelé pour le convier à
        une interview sur la crise sanitaire naissante. Et il avait fallu qu’à son tour,
        après  le  père,  le  Président  de  la  République  l’humilie  devant  ses  autres
        collègues en le rabrouant sévèrement. Celui-ci, se promit-il, le lui paierait un
        jour ou l’autre.

           Il patientait tranquillement, rasséréné par ses idées de vengeance, lorsque
        son  Directeur  de  Cabinet  vint  frapper  à  la  porte  de  son  bureau.  Il  l’invita
        aussitôt  à  entrer  en  cherchant  à  reprendre  une  certaine  contenance,  à
        réintégrer l’habit de scène fait pour le rôle qu’il devait jouer.

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