Page 21 - Livre souvenir 2019
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Derry
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Descendant la 6 rue déserte, je reconnais soudain une
silhouette familière au travers du pare-brise. Je sors et je
m’écris : « Renée ? Est-ce bien toi ? Incroyable !
Comment vas-tu depuis toutes ces années ? »
Renée est la première de mes trois ex-femmes. Cela
fait trente-cinq ans que je ne l’ai pas vue, depuis que nous
avons signé le divorce. Contraint de revenir à Derry pour
récupérer des paperasses chez le notaire, voilà que je
tombe sur elle, délicieuse coïncidence. « Tu as le temps de
prendre un café ? Monte, je suis si content de te croiser ! »
Elle n’a pas changé. Cheveux tirés, robe claire à
rayures orangées et talons blancs : Renée est superbe,
comme elle l’a toujours été. Malgré quelques rides, son
visage conserve toute sa vitalité et tout son éclat. C’est
bien ce même visage qui m’a fait chavirer autrefois.
Nous avons tous les deux grandi dans les quartiers
malfamés de Derry et nous sommes rencontrés lors d’une
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soirée arrosée, dans un bar entre la 15 avenue et la 7 rue.
Elle m’a plu dès le premier verre. À 17 ans, elle venait de
quitter prématurément le lycée. J’en avais 23, j’enchaînais
les petits boulots et les beuveries. Trois années d’ivresse
ont suivi.
Au début, Renée vivait chez ses parents et devait faire
le mur chaque soir pour me retrouver. Elle se faufilait par
la fenêtre du pavillon. Je venais l’attendre un peu plus loin,
à 1h00 pétante, avec mon pick-up rouillé. On filait ensuite
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