Page 11 - Livre souvenir 2019
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The enigmatic widow
Lorsque Renée entre dans le garage, la Cadillac est
prête. L’apprentie a installé les fleurs et les casseroles. Je
l’ai lustrée avec soin. Renée ne s’approche pas. Elle évite
tout risque de salir sa robe et ses chaussures, d’un blanc
immaculé. Le mariage de sa fille, Lupita, aura lieu demain.
Mais Renée porte déjà une tenue digne de l’occasion. Elle
sort juste de chez Jaime. Elle est coiffée d’un chignon haut
et dense qui la rajeunit. Jaime a dû utiliser un postiche pour
la coiffer. Le résultat me paraît parfait. Il correspond bien
à Renée. Elle est la génitrice de la future mariée et épouse
ce statut avec fierté. Ce mariage est aussi sa réussite.
Renée vérifie de loin que la Cadillac est en ordre. Puis elle
nous salue, avec son accent aux teintes royales. Cet accent,
cette revendication de ses origines acadiennes. Cet accent
qui lui donne un air sophistiqué et mystérieux. Je la
regarde s’éloigner, et me remémore le mystère qui plane
sur sa vie passée.
Renée et Lupita sont arrivées en ville sans connaître
quiconque. Nous étions au début des années 90. J’étais
arrivée six mois plus tôt, avec mes parents. La fin d’un exil
qui avait débuté dans le Chiapas. Lupita et moi avons
partagé les bancs de l’école. Elle a été ma première amie,
unies par notre statut d’étrangères. Moi, la Mexicaine, et
elle, la Canadienne. À l’adolescence, nous traînions
ensemble, dans le café de Renée. En particulier pendant
les concerts rock qui s’y déroulaient les vendredis soir.
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