Page 12 - Livre souvenir 2019
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Lupita et moi étions assez âgées pour sortir le soir, mais
pas assez pour boire en toute légalité. Renée n’était pas
très regardante sur la question. Une conséquence probable
de son penchant personnel pour la bouteille. Malgré ses
écarts, elle était toujours impeccable pour servir le café
matinal. Il y a deux ans, Renée a revendu l’affaire, à
Starbucks. Le café est devenu cher et sans saveur.
Les propos de Renée sur son passé ont toujours été
vagues et opaques. Des récits truffés d’incohérences et de
contradictions. Un jour, elle évoquait l’existence d’un
défunt mari, de Louisville. Un intellectuel noir américain,
qui n’avait d’yeux que pour elle. À la mort de ce dernier,
son deuil l’aurait poussée à quitter le Canada pour la ville
qui avait vu naître son époux. Un autre jour, elle racontait
être partie sur un coup de tête vers le Sud, sans destination
précise. Alors, sa voiture serait tombée en panne à
Louisville. Un signe du destin qui marqua la fin de son
exode.
Est-ce que ses incohérences sont les conséquences de
son penchant pour l’alcool ? Non, et j’ai toujours pensé
que Renée voulait cacher son histoire, son passé. J’ai
toujours pensé que Renée avait un secret.
En ce samedi lourd d’été, au milieu des vapeurs de
polish, je ne me doute pas que la lumière sur le passé de
Renée va bientôt être faite. En ce samedi lourd d’été, je ne
me doute pas du cours que le mariage de Lupita va prendre
le lendemain.
Céline
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