Page 23 - MOBILITES MAGAZINE N°38

Politique & institutions
du Covid-19
agit, on rentre à la maison, on parle avec les siens. Bien vivre, c’est articuler le moment présent tout en se projetant dans un avenir proche et un peu plus lointain. La crise sanitaire actuelle porte prin- cipalement atteinte à cette capacité de projection. Plus personne n'ar- rive à se projeter dans un temps qui dépasse le très court terme. Cela crée un contexte d'agressions psychologiques, de perturbations neurologiques fortes auxquelles notre cerveau n'est pas du tout préparé. J'observe des états de presque désorientation, de perte de cadre structuré dans le rapport au temps.
: est-ce que cette désorientation est liée au
confinement ?
BT : c’est un des effets du confi- nement. Etre confiné signifie avoir un rapport restreint à l'espace am- biant. Il y aussi un confinement temporel : du fait de cette incapa- cité à anticiper, à se projeter, à ar- ticuler ce présent et cet avenir, cette expérience d'isolement et de confinement qui nous est im- posée vient renforcer ces pertur- bations. Le seul rapport au temps qui nous reste, c'est un rapport au présent. Celui-ci est assez appauvri. Pour ceux qui m’appellent, ce cadre est purgé de tous les éléments si- gnifiants pour eux : il n’y a pas ou très peu de travail. Quand il y a du travail et c’est le cas pour les conducteurs, il n'y a quasi personne dans le bus. Beaucoup de salariés vivent isolés, c'est à dire qu'ils sont sevrés des rapports à leurs êtres proches. Cette absence est vécue douloureusement pour
beaucoup. Donc ce rétrécissement à la fois de notre espace (qui est limité), de notre rapport au temps (qui est perturbé) s'accompagne aussi d’un appauvrissement de notre vie émotionnelle, relation- nelle, affective. Tout cela créé un contexte à cette dégradation de la santé psychique.
: qui est au poste de commande de l’anxiété ?
BT : c’est la difficulté à se res- treindre au temps présent. Nous sommes confrontés à une peur sans objet. Evidemment, il y a des raisons d'avoir peur de ce qui arrive. Ce n'est pas parce que l'objet est microscopique, et invi- sible qu'il n'est pas réel. Mais il y a quand même une incapacité à l'appréhender, à le nommer, à y faire face. Tout cela s’accompagne d'une sensation de perte de contrôle qui vient en résonnance avec la difficulté à anticiper, à se projeter, à structurer son rythme de vie au quotidien. Nous devons faire avec la sensation de ne pas tout savoir, de ne pas tout pouvoir, de ne pas tout vouloir. C'est-à-
dire que nous devons renoncer à tout fantasme de maîtrise sur la réalité. Nous vivons une expérience de vulnérabilité psychique. Même si on est en bonne santé, nous devons renoncer à maîtriser les choses. Autre source d’angoisse : personne ne sait rien, ni les cher- cheurs, ni les médecins. Ils font avec les connaissances du moment qui évoluent chaque jour. Ce qui donne lieu à des hypothèses fluc- tuantes. Les politiques font avec les éléments de connaissances cli- niques des experts. Nous, nous devons faire avec cet ensemble de choses molles, incertaines, aléa- toires, incertaines, constamment fluctuantes. Cette sensation de perte de maîtrise va nourrir les éléments d'anxiété et parfois de décompensation chez les plus fra- giles.
: comment mieux gérer ces anxiétés ?
BT : quand il y a un sentiment de grand tangage, il faut essayer de reprendre un peu de maîtrise. La question est de savoir comment se restructurer, se réarticuler, se redonner une consistance, une certaine forme de cohérence. Lorsqu'il y a une difficulté psycho- logique chez quelqu'un, il faut es- sayer de comprendre d'où elle vient et ce qu'elle affecte.
: est-ce que les conducteurs du transport
publics sont plus touchés par cette anxiété ?
BT : les conducteurs font partie des professionnels que notre pré- sident a appelé la troisième ligne. Ce sont des personnes utiles, mais
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MoBiLiTés MagazinE 38 - JUIN 2020 - 23