Page 24 - MOBILITES MAGAZINE N°38
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Politiques & institutions
un peu oubliées et peu reconnues par la société de part leur statut et leur salaire. Globalement, leur narcissisme est constamment fra- gilisé par la pauvreté des relations qu'ils ont avec les usagers. Ils se plaignent parfois que des passagers puissent monter dans un bus sans les regarder, ni les saluer.
Le service - qu'ils ont bien conscience de rendre à la société - n'est l'objet d'aucune gratification narcissique. Au cours d'une vie, ce narcissisme se fragilise jusqu'à une certaine forme d'aigreur ou parfois d'émoussement dépressif. Il y a une mise en résonance de ce travail de laminage et cette situa- tion sanitaire particulière qui va créer chez ceux le terrain idéal pour l'expression de bouffées anxieuses voire délirantes.
: comment accompagnez-vous les
personnes qui font appel à vous ?
BT : je considère la singularité de chaque personne que j'ai au bout du fil. Plus techniquement, il s'agit de les aider à nommer les risques, les évaluer, les objectiver. Savoir parler des choses, pouvoir les pen- ser, c'est aussi pouvoir s'autoriser àneplusenavoirpeur.Ilyatout un travail d'élaboration à la fois psychique et intellectuel pour es- sayer de donner une forme, un mot, un contenu, une intensité à l'angoisse qui est de l'ordre du l'irreprésentable. Dans l'anxiété, la source de nos angoisses échappe à la définition. Il est parfois difficile d'indiquer le nom de ce qui fait peur.
: quelles peurs découlent du Covid-19?
BT : cette crise a un très grand ré- pertoire de sources d'anxiété. Il y a ceux qui ont peur d'être conta- miné. D'autres, parce qu'ils sont en bonne santé et jeunes, ont
peur de contaminer leurs proches, parfois vulnérables. Il y a aussi des formes d'anxiété liées à d'isole- ment. Quand la solitude est subie, elle peut provoquer toute sorte de troubles. Elle peut s'accompa- gner parfois d'une perte du rapport au temps et à l'espace. L'identité de chacun se construit dans une expérience relationnelle et sociale à travers le regard que les autres portent sur soi. C'est précisément cela que l'isolement met à mal. Et quand ça dure - comme pendant le confinement - les plus vulnéra- bles sont mis en difficulté.
: avez-vous été beaucoup sollicité pendant le
confinement ?
BT : chaque jour, j'ai entre cinq et six personnes au téléphone ou en visioconférence. Je me suis mis à la disposition des réseaux d'Agir transport il y a plus d'un mois pour accompagner leurs salariés. Je connais bien le secteur des trans- ports car je dispense des formations sur la gestion du stress, des conflits et des situations à risque depuis plus de 25 ans. Pour le Covid-19, des salariés m’ont sollicité dés le 20 mars. Au départ, les personnes vivaient des moments d'angoisse liés au télétravail. Pour celles-là qui n'avaient pas l'expérience, ni
les outils, ni l'espace pour travailler, ça a été pénible dans un premier temps. Ces sollicitations ont disparu très rapidement au bout d'une di- zaine de jours. Les personnes qui me contactent depuis ont des dif- ficultés psychologiques qui sont antérieures au Covid, mais qui se sont dégradées à l'occasion de la crise sanitaire.
: est-ce qu'il y a des peurs liées au
déconfinement ?
BT : les personnes ne savent pas concrètement ce qui va se passer sur leur terrain professionnel. Cela donne lieu à des préoccupations. Le flou lié aux perspectives de déconfinement constitue un facteur de démultiplication de l'angoisse. Quand les salariés sauront dans quelles conditions ils retravailleront et quelles précautions seront prises, l'angoisse se dissipera. Ils pourront rétablir leur niveau habituel de fonctionnement. Une partie des salariés du transport public crai- gnent que beaucoup d'usagers ne respectent pas les règles de dis- tanciation physique ou ne portent pas un masque. Ils redoutent d’être exposés à la contamination du fait la répétition de ces situations. z
PROPOS RECUEILLIS LE 30 AVRIL 2020 PAR CHRISTINE CABIRON
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Savoir parler des choses, pouvoir les penser, c'est aussi pouvoir s'autoriser à ne plus en avoir peur.