Page 10 - AQMAT Magazine Été 2024
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Compétitionner dans les règles
En qualité de président-directeur général de l’organisme Bien fait ici (www.ici-here.ca), j’ai récemment été invité sur le panel de clôture d’un colloque organisé par l’Université d’Ottawa sur le thème
de la modernisation de la Loi fédérale sur la concurrence.
L' actuelle loi et sa mouture révisée font une large place
à prévenir les monopoles, notamment avec des sanctions plus fortes, aussi en contre-balançant plus équitablement
les économies promises par une fusion ou une acquisition avec leur impact sur la société. Et quand on dit « société », il peut s’agir des employés, des clients, des fournisseurs ou de l’État.
Les efforts du législateur et de son bras d’application qu’est
le Bureau de la concurrence se concentrent aussi sur la fixation des prix ou des marchés entre deux ou plusieurs concurrents. Avec raison, car en agissant ainsi, ces entreprises, bien que créatures juridiques distinctes, se trouvent à priver tout autre joueur du principal attrait du capitalisme, l’accès à des parts
de marché.
De la consolidation à la monopolisation
J’ai fait valoir que les statistiques tendent à prouver que la loi et les politiques canadiennes n’ont pas les effets escomptés. Comme quoi Kafka avait raison d’écrire : « Croire au progrès ne signifie pas qu’un progrès ait déjà eu lieu. »
En effet, il y a de moins en moins de fabricants au Canada alors que la population du pays croît et qu’une classe moyenne se garnit à l’échelle mondiale.
S’Il y a donc moins d’entreprises alors que le marché grandit, cela veut dire que ce sont quelques sociétés de plus en plus grandes qui accaparent plus de parts de marché et en laissent moins à la majorité, à savoir nos PME.
En 2002, le secteur manufacturier canadien fournissait deux millions d’emplois et générait plus de 165 milliards de dollars, ce qui représentait 15,7 % du PIB. Aujourd’hui, il emploie
1,7 million de personnes et ne représente plus que 10 % du PIB.
Les multinationales représentent moins de 1 % de toutes les entreprises au Canada, mais contrôlent environ 70 % de tous nos actifs.
Le phénomène de la centralisation se constate aisément
dans notre industrie. Je pourrais énumérer les noms d’au moins 25 manufacturiers québécois ou canadiens qui ont perdu des contrats auprès des bannières connues parce qu’ils n’avaient pas la capacité de production ou les liquidités pour rencontrer une demande devenue plus consolidée qu’avant.
À coups de fusions, d’acquisitions ou de faillites, on assiste passivement à un écrémage naturel des fournisseurs. Du coup, il y a standardisation des marques, d’où inéluctablement
une réduction de la diversité de produits pour les rénovateurs et les entrepreneurs en construction.
Mon plaidoyer au colloque visait donc à démontrer qu’il
ne suffit plus de s’assurer de l’indépendance juridique des joueurs et de veiller à ce qu’ils ne dictent pas les prix de vente aux consommateurs. Encore faut-il qu’en amont, on s’assure qu’il n’y ait pas fixation des prix d’achat.
En arrière-plan, il faut considérer que la moitié des quincailleries sont de propriété corporative, l’autre moitié sont affiliées,
seule une centaine sur 3000 au pays sont 100 % libres
de leurs approvisionnements. Ceci berne le Bureau
de la concurrence qui ne voit que les apparences, soit des créatures juridiques distinctes. Il devrait apprendre qu’une incorporation ne se traduit pas automatiquement
en indépendance.
« Nos lois manquent de dents et nos politiciens de colonne vertébrale. » Voilà exactement mes mots. Le public d’intellectuels a été surpris par ma langue pas-de-bois.
Un mode collaboratif à instituer
J’ai évidemment abordé la question de la collaboration entre marchands qui est proscrite par la loi.
On se souvient – en tout cas, mon épouse s’en souvient !
– que j’ai reçu, il y a deux ans, un avertissement de la Direction des cartels du Bureau de la concurrence m’invitant à cesser d’encourager nos membres à convenir d’horaires d’ouverture
à défaut de quoi je risquais une amende de 25M $ et 14 ans de prison.
J’ai gagné plusieurs points au colloque en soulignant que le Bureau fait des procès d’intention en condamnant sans preuves, ce que l’esprit de notre Code criminel décourage pourtant.
J’ai donné en exemple des législations en Europe où, au contraire d’ici, on incite les concurrents à se concerter si le but visé
de leurs échanges ne pénalise pas les consommateurs,
mais les avantages.
Par exemple, de nombreux aéroports européens connaissent des périodes de saturation de leurs infrastructures.
En réponse à cette problématique, l’Union européenne
vient d’adopter un règlement qui établit des mécanismes
de coordination des horaires dont le but est d’utiliser optimalement toutes les plateformes aéroportuaires nécessaires pour la prestation du meilleur service aérien possible entre concurrents.
10 ÉTÉ 2024 • AQMAT MAGAZINE
Le mot du président