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GQ
Pays : France Date : N 121 / 2018
Périodicité : Mensuel Page de l'article : p.69-75
OJD : 92609 Journaliste : Fabrice Tassel
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'est la première dégusta- Boston venu avec trois copains, va même
lion du jour. La petite troupe plus lom : « Les cigares cubains, c'est de
des visiteurs encore assou- la m... Lin an après la récolte du tabac, les
pis ëcoute d'une oreille dis- cigares sont déjà dans la rue ! » Guillermo
traite le directeur de la ma- Leon, patron de La Aurore et figure très in-
nufacture disserter sur la fluente du pays (lire encadré p TT) est plus
culture du tabac. Seul un mesuré : « Lorsqu'on demande à un gamin
homme le crible de ques- quel est le meilleur tabac, 11 répond toujours
lions. Il sautille, jongle entre "Cuba". Maîs nous progressons. Et vite. »
un smartphoia et un énorme Les Dominicains, leaders incontestés sur le LE CIRCUIT FUMEUX
boîtier, gonfle studieuse- marché américain, s'intéressent de près à DE L'EXPORTATION
ment ses joues pour savou- l'Europe, et les premiers résultats sont la :
rerlafumeedesoncigare.il l'an dernier, pour la première fois en Alle- OU COMMENT LES DROITS
D'EXPLOITATION FONCTIONNENT
est 10 heures. Au bout d'une magne, les cigares non-cubains - en grande
DANS LE MONDE.
vingtaine de minutes, alors majorité dominicains - ont été davantage
qu'il vient d'interrompre une émème fois fumés que les « havanes ». Lin signal fort.
l'homme de l'art, celui-ci réplique en nant :
RÉPUBLIQUE
« Voilà le monde de demain, les Chinois vont L'EXODE DES PRODUCTEURS DOMINICAINE
m'expliquer mon métier 1 » L'agitation re-
tombée, on s'approche du curieux. « Pablo lobalement, l'économie du cigare n'est
Meng », indique sa carte de visite. Il ne s'ap- pas inquiète pour sa santé. Elle épouse
pelle bien sûr pas « Pablo », maîs peu im- les grandes tendances de l'industrie du
porte. Il organise des événements autour luxe et progresse chaque année, no-
du cigare à Shanghai et sa soif de connais- G tamment grâce aux nouveaux riches
sances est aussi impressionnante que sa Chinois, Russes voire Indiens, et à un attrait
maîtrise de l'espagnol. réveillé chez déjeunes occidentaux : à Paris,
La planête cigare, riche de ses dizaines de les clubs dédiés au cigare comptent de nom-
milliards de chiffre d'affaires annuel, est en breux trentenaires. Mais les règles du busi-
mouvement : la dynamique se trouve en Ré- ness sont en tram de changer. Un tiers des
publique dominicaine, cela n'a donc rien d'un cigares dans le monde se vend désormais en
hasard si Pablo Meng y furète. La « RD » ligne. Surtout, le « Mur de Berlin » de la pla-
est devenue en quèlques années la plaque nète cigare - l'embargo des Etats-Unis sur la L'État cubain et les multinationales
tournante du cigare premium (la gamme production cubaine depuis 1962 - se lézarde. produisant sur place exportent
construite à partir des meilleurs tabacs) Certains ont même pensé qu'il s'écroule- leurs cigares uniquement vers
l'Europe, a cause de l'embargo.
avec une production d'environ 250 millions rait à la suite de la visite d'Obama à Cuba au
de cigares faits à la mam chaque année printemps 2016. Si la victoire de Trump a de Les producteurs dominicains
peuvent eux exporter leurs
(beaucoup plus si on inclut ceux fabriqués nouveau gelé le processus, les producteurs
cigares vers les Ëtats Unis (80%
par des machines), soit environ la moitié du cubains et dominicains attendent déjà le pro- de leur stock) et l'Europe (20 %).
marché mondial, et trois fois plus que Cuba chain épisode. L'ouverture du marché amé-
Cependant, des producteurs
et sa réputation mythique. Les deux géants ricain - le plus grand du monde avec 25 DOO cubains ont cedé les droits
du business organisent chaque année leur points de vente - aux cigares cubains serait d'exploitation de leurs marques a
des multinationales, qui, du coup,
propre festival, une grand-messe pour les un bouleversement majeur puisqu'à ce jour,
fabriquent des répliques de
professionnels du monde entier et un mo- il est largement dominé par les dominicains. cigares cubains qu'ils peuvent
ment de plaisir pour quèlques dizaines de En réalité, et comme souvent, le business écouler aux États-Unis
passionnés qui s'offrent une semaine de va- a déjà anticipé les soubresauts et les hé-
cances au milieu des volutes. Si la version sitations de la politique américaine. Les
cubaine se déroule à La Havane, le festi- groupes mondiaux (Imperial Brands et
val dominicain prend ses quartiers dans le Scandmavian Tobacco Group notamment)
nord, à Santiago de los Caballeros, poumon se sont débrouillés pour avoir un pied à
économique du pays autour duquel s'épar- Cuba et l'autre dans les grands fiefs de pro-
pillent les domaines du « cartel » - les onze duction, la République dominicaine en tête
producteurs membres de Procigar, du nom et, dans une moindre mesure, le Nicaragua
de leur puissant lobby et de leurfestival. et le Honduras. Il faut remonter dans l'his-
L'écosystème du cigare se divise en gros toire pour comprendre. Tout a commencé
entre les « cubains » et les « non-cu- en 1960. Après sa prise de pouvoir, Castro
bains. » Les premiers ont longtemps do- commence par nationaliser l'industrie du
miné le monde, maîs le mythe chancelle dé- tabac. Le Lider Maximo songe même a re-
sormais. Jeffrey, un homme d'affaires de grouper sous un même terme (Siboney,
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