Page 17 - Histoire de R.pdf
P. 17

Durant l’après guerre, partant de ce coté ouest du rideau, il était toujours très relativement aisé de visiter en touriste un pays de l’Est, y compris l’URSS, à condition d’obtenir un visa et d’accepter de partager la présence en continu d’un «guide» tout autant chargé de vous surveiller que de vous indiquer le bon chemin.
En 1967 une ville française, Brives la Gaillarde, dont je ne connaissais par ailleurs l’existence qu’au travers d’une chanson de Brassens alors interdite à la radio, s’est jumelée avec celle de Mélitopol. Elle l’est encore.
Evel pensa immédiatement à une ouverture possible, sans toutefois se faire d’illusion, les journaux de 1941-1945 lui ayant fait connaître en leur temps les avancées des troupes allemandes vers l’est et autour de Melitopol, ainsi que le traitement quelles avaient infligé aux populations juives. Dans sa ville les 2 000 juifs non évacuées ont tous été éliminés... et aujourd’hui, les fosses communes, les cimetières, les monuments y sont régulièrement vandalisés. La missive alors adressée au maire de cette ville, Jean Charbonnel qui la fera pourtant bien suivre, n’apportera cependant rien de plus, Melitopol restant muet face à notre demande.
Du coté russe, si l’idée qu’il aurait pu y avoir des initiatives pour retrouver le petit frère Lolik paraît tomber sous le sens pour nous, ce serait ignorer les répressions qui s’étaient alors exercées sur leur existence, la mobilité des individus étroitement contrôlée, la peur du complot « de l’étranger », un esprit de parti où chacun savait ce dont il avait le droit de parler et ce qu’il fallait taire surtout si votre parcours faisait état d’un séjour ou d’une naissance hors de Russie, toutes choses suffisantes pour vous faire interpeler comme espion potentiel ou ennemi du peuple à l’heure du laitier. La peur des représailles nous dit Marina. Et puis, nous diront-ils plus tard, ils l’avaient quitté militaire, il y avait eu des guerres, la dernière pas notablement favorable aux natifs juifs, alors une sorte de vision fataliste s’était donc installée dans leur esprit.
Seule restait une mémoire toujours, avec une solide persévérance, soigneusement entretenue !
De mon côté le 18 septembre 2016, déçu, après avoir officiellement changé Iofa en Jofa, lassé et surtout de plus en plus désespéré par de vaines recherches, l’âge aidant avec la pensée que s’installerait peu à peu l’insupportable et définitif silence sur un passé dont je ne connaitrai jamais que de très incertains prénoms... à 16h43 je lance un message sur un site russe et ukrainien de généalogie juive, comme on lance une bouteille à la mer, habité tout de même par une très, très vague espérance...
Dans la nuit une certaine Tatiana me répond en russe, puis en français en me résumant ce que le livre ‘Les juifs de Mélitopol” raconte sur la famille et en me proposant de scanner la photo de Rosa sur ce livre. Photo qui m’arrive le lendemain... J’ai enfin le premier visage de cette famille oubliée... Et c’est là aussi que j’apprends que le Somine que nous avions si vainement traqué pendant des années, s’appelait en réalité Izraël Sakhnovich Nemzer !
La suite verra un certain nombre d’internautes participer au débat en ajoutant d’autres détails familiaux glanés ici ou là...
Et puis au tout début de l’année suivante, arrive ce message traduit : « 8 janvier 2017 Bonne nuit. Merci beaucoup pour les informations sur ma famille, sur mes ancêtres. Je suis Marina Medetskaya, l'arrière-petite-fille de Rosa Ioffe et Israel Nemzer, la petite-fille de leur fille aînée Anna-Sophia, née à Melitopol avant de partir pour Paris. Leurs enfants Alexandra et Victor sont nés à Paris, puis en Russie, la plus jeune fille Maria, Maria Nemzer née en Russie, la sœur de notre grand-mère, vit à Saint-Pétersbourg. Elle a maintenant 96 ans. J'habite à Moscou, ma sœur cadette Anna, du nom de sa grand-mère, vit à Moscou,. Nous étions heureux d'apprendre les détails de la vie de la grand-mère Rosa (sur l'émigration parisienne), nous connaissons et gardons de nombreuses histoires de famille, nous sommes prêts à raconter, communiquer et apprendre de nouveaux détails»
L’émotion était trop forte ! Ainsi, j’avais enfin réussi et je retrouvais la petite-fille d’Anna-Sophia, celle qui était arrivée âgée de deux mois en octobre 1909 à Paris dans les bras de Rosa, sa mère. Anna-Sophia que mon père aurait pu connaître nourrisson à Mélitopol en 1909 et qu’il a en tout cas connue fillette à Paris, plus tard jusqu’en 1917. Et en 2017, après 100 ans de silence, l’histoire faisait une culbute inouïe... une déchirure se réparait, je me découvrais une famille et une cousine, dernière nièce de mon père, encore vivante !
16


































































































   15   16   17   18   19