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LITTÉRATURE JEUNESSE
Les représentations de la diversité dans la littérature pour
la jeunesse en Ontario français : un état des lieux
par Camylle Gauthier-Trépanier
Dans leur ouvrage Diversity in Youth Literature : Opening Doors avantages non négligeables pour les jeunes lecteurs. Cela leur per-
through Reading, les chercheurs Jamie Campbell Naidoo et Sarah met de décloisonner leur univers en leur montrant d’autres réalités,
Park Dahlen expliquent que « [l]a diversité met généralement en d’acquérir un vocabulaire pertinent pour comprendre, mais surtout
lumière un ensemble de traits ou de caractéristiques d’une per- nuancer son propos et sa pensée à propos de différentes réalités et
sonne qui sont, d’une certaine façon, différents de ceux d’une déconstruire les préjugés ou les stéréotypes entretenus à l’endroit
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population considérée commune . » Dans la culture, ou plutôt de certains groupes. Cela dit, si l’on songe plutôt à représenter
dans la littérature, parce que c’est ce qui nous intéresse ici, la des réalités variées comme l’ethnie, la culture, la santé mentale,
diversité c’est de montrer des visages, modèles et schéma variés qui le handicap, l’orientation sexuelle, la diversité de genre et même
représentent la multiplicité de la société. Actuellement, la culture l’insécurité linguistique, pour n’en nommer que quelques-unes,
est très « normée », c’est-à-dire que, consciemment ou non, nous force est de constater qu’il reste encore du travail. Quelques au-
considérons certains éléments comme normaux. À titre d’exemple, teurs et autrices ouvrent cependant la voie avec des ouvrages nova-
une grande majorité des personnages dans les albums pour la jeu- teurs, c’est le cas par exemple d’Au secours je perds la vue (2019) de
nesse sont encore blancs, alors que ce n’est évidemment pas le cas Martine Bisson-Rodriguez qui présente un jeune garçon qui perd
de la société canadienne. La plupart des familles dans les ouvrages progressivement la vue ainsi que les obstacles auxquels il doit faire
pour la jeunesse sont des familles nucléaires hétérosexuelles alors face à cause de ce handicap. Malgré les difficultés, cette histoire
que les familles homoparentales, monoparentales et reconstituées se termine bien. Le handicap y est également la source de belles
abondent. Du moins, c’est encore souvent le cas dans les livres choses et de nouveaux défis stimulants pour le jeune personnage.
pour la jeunesse qui se publient en Ontario français. Il s’y publie Dans Otages de la nature (2018), Daniel Marchildon s’intéresse
d’excellents ouvrages pour la jeunesse à chaque année, toutefois, à la culture autochtone lors-
il faut entamer la réflexion en ce qui a trait à la diversité. Dans qu’une industrie forestière
Histoire de la littérature pour la jeunesse , Françoise Lepage explique décide d’exploiter un territoire
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que c’est seulement vers la fin du XX siècle que la marginalisation sacré pour la communauté
et l’appartenance à des groupes minoritaires vont être abordées de Anishnabé. Ce roman évoque
façon plus importante dans la littérature jeunesse et s’affranchir de également des relations fami-
la représentation stéréotypée qui les caractérisaient jusque-là . On liales difficiles entre un adoles-
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cherche donc à élargir ce qui sert de norme, notamment l’appa- cent et sa mère : il est question
rence des personnages, le modèle familial et les rôles associés aux d’irresponsabilité de la mère et
garçons et aux filles. de difficultés financières. Sou-
levons également le travail de
Le verdict est plutôt bon en ce qui concerne les rôles donnés aux
garçons et aux filles dans les livres franco-ontariens pour la jeu- Gilles Dubois, qui s’intéresse
régulièrement aux commu-
nesse. Pensons, par exemple, à la série d’enquêtes de Mireille Mes-
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sier qui met en vedette un duo de détectives, un garçon et une fille nautés autochtones comme
c’est le cas dans le roman pour
ou, pour les adolescents, à la trilogie de Louise Royer qui présente
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un personnage féminin autonome et affirmé. Après tout, l’inclu- la jeunesse Nanuktalva (2016) Camylle Gauthier-Trépanier
et d’Andrée Poulin avec son
sion de réalités diverses dans les ouvrages pour la jeunesse a des
album Y’a pas de place chez
nous (2016) qui décrit le dif- Camylle Gauthier-Trépanier
ficile périple de deux jeunes poursuit des études de doc-
1 Jamie Campbell Naidoo et Sarah Park Dahlen, « Editors’ Introduction ». Dans
Jamie Campbell Naidoo et Sarah Park Dahlen (dir.), Diversity in Youth Literature. immigrants en fuite dont per- torat en littérature française
Opening Doors through Reading, Chicago, American Library Association, 2013, sonne ne veut. à l’Université d’Ottawa. Elle
219 p. xiii. (C’est moi qui traduis) se spécialise en littérature
2 Il s’agit de l’un des seuls ouvrages théoriques sur la littérature pour la jeunesse pour la jeunesse franco-
qui fait une place à la littérature des communautés francophones hors Québec.
canadienne et québécoise.
3 Françoise Lepage, Histoire de la littérature pour la jeunesse, Orléans, Ses recherches actuelles
Éditions David, [2000] 2010, p. 306. portent sur les représenta-
4 Cette série publiée aux Éditions du Vermillon compte trois tomes : tions de la violence dans
Coupe et soucoupe à Sudbury (2006), Coup de théâtre à Stratford (2010)
et Embrouilles à Embrun (2013). les romans pour la jeunesse
5 Publiée aux Éditions David, cette série compte quatre tomes : au Canada.
Ipod et minijupe au 18 siècle (2011), Culotte et redingote au 21 siècle (2012),
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Bastille et dynamite (2015) et Téléportation et tours jumelles (2018)
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