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> RéFLEXIONS
AUX ARChItECtES dE dEmAIN
SAlImA S. El mAnDjRA Architecte enseignante
Salima S. El mandjra, née à Paris en 1963, est diplômée de l’École Spéciale d’Architecture de Paris et titulaire d’un master en Architecture du Paysage. Elle enseigne à l’École nationale d’Architecture de Rabat depuis 1998. Parmi ses centres d’intérêt, figure l’impact de l’évolution des valeurs socio-culturelles sur la fabrication, la pratique et les représentations de la ville contemporaine. Elle participe par ailleurs à l’animation de rencontres littéraires et artistiques, et est l’auteur de plusieurs articles publiés dans des ouvrages collectifs et des revues spécialisées.
depuis près de 20 ans, je rencontre en tant qu’enseignante des êtres particuliers qui se démarquent par la fulgurance de leur pensée, une sensibilité du regard, ou encore une confiance absolue en eux dépourvue de toute suffisance. ils ne se rendent pas toujours compte de leur singularité, et quand c’est le cas, ils la ressentent souvent comme embarrassante. il est clair qu’un système d’éducation familiale et scolaire, privilégiant obéissance et conformisme social, couplé à la culture mondiale globalisante, compromet chez ces jeunes, toute acceptation épanouissante de leur différence. c’est d’autant plus impressionnant en première année, que ces qualités affleurent dans la simplicité d’une réflexion dépouillée de toute notion théorique. ils ne sont pas meilleurs mais lumineux. leurs interventions enrichissent les séances et dévoilent l’étendu de l’impensée.
Parallèlement, j’ai pu relever combien, promotion après promotion, les étudiants étaient de plus en plus troublés par le fait d’être livrés à eux-mêmes. il m’est alors apparu, qu’au-delà d’une formation académique, l’enseignement devait instiller la culture d’une relation à soi libérée de toute autocensure. car comment exiger le meilleur de soi dans l’ignorance d’un potentiel maintenu en veille ? il n’est bien entendu pas question de développement personnel, ni de valorisation de l’égo, mais de déclenchement d’un processus de fertilisation, qui leur offre l’opportunité d’observer la manière dont la créativité s’active, et la connaissance accumulée s’intériorise. il ne s’agit pas non plus de provoquer une quelconque course à l’originalité, mais plutôt de semer en chacun la légitimité de penser par soi-même et d’émerger.
l’adoption de cette aptitude se révèle d’ailleurs à plus d’un titre pressante, car au- delà de considérations relatives à nos étudiants, il y va de l’avenir de la profession. en effet, dans un grand nombre de cas, nos étudiants, futurs architectes, produisent des projets générés par des raisonnements automatiques apparaissant comme des copies édulcorées de points de vue émanant d’autres contrées. ces propositions dignes du xxe siècle, généralement inadaptées au contexte local en dépit du maquillage marocain qui les revêt, manquent cruellement de perspectives nouvelles. elles reflètent les futures difficultés que rencontreront les architectes de demain, à inscrire leurs pratiques dans une dynamique de plus en plus complexe. Pour preuves, les architectes sont de plus en plus contraints d’intégrer, dans un rythme effréné, de nouvelles normes et réglementations. ils sont de surcroît amenés à se confronter à une multiplication constante d’interlocuteurs et d’avis, et ce, plus dans un climat de rivalité que de complémentarité. enfin, toute étude prospective sur l’avenir des conditions de vie de l’humanité, génère des interrogations sur notre handicap à
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